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destructions de la troisième circonvolution frontale dans l’hémisphère droit ne produisent point d’aphasie. Broca, au lieu de s’insurger contre les faits, en a donné une explication très ingénieuse et très juste, qui est restée dans la science. Il a remarqué qu’un grand nombre d’actes mécaniques, et en particulier les plus délicats, comme ceux d’écrire, de dessiner, etc., sont exécutés presque exclusivement par la main droite ; l’imitation, l’éducation, probablement aussi des influences héréditaires, ont amené ce résultat. Dans toutes les races, les individus sont droitiers des membres ; il n’y a d’exception, à ce que prétend M. Lombroso, que pour les criminels, qui sont ambidextres. Or, comme les mouvemens du côté droit sont, par suite d’un entre-croisement des fibres motrices, dirigés par l’hémisphère gauche, il en résulte que les individus droitiers de leurs membres sont gauchers du cerveau ; c’est notamment avec leur hémisphère de gauche qu’ils écrivent. L’enfant, a conclu Broca, apprend à se servir de cet hémisphère gauche pour parler, comme pour écrire, comme pour exécuter un travail mécanique un peu difficile, et voilà pourquoi la lésion qui produit l’aphasie siège à gauche. Supposons un gaucher frappé d’aphasie, alors les conditions seront interverties ; il se sert de l’hémisphère droit pour accomplir les actes complexes et délicats, et notamment pour parler, c’est à droite qu’il faudra chercher la lésion ; et, en effet, c’est à droite qu’on l’a trouvée.


II.

Après la découverte de Broca, il y eut un temps d’arrêt dans l’histoire de l’aphasie ; cette histoire semblait terminée. On ne s’apercevait pas que la lésion, très restreinte et très spéciale, que Broca avait découverte, correspondait seulement à une espèce d’aphasie, à la perte de la parole. Les altérations du langage sont bien plus variées et plus nombreuses, et tel individu qui est privé de la parole présente souvent plusieurs autres troubles aphasiques ; par exemple, il ne peut plus lire ni écrire. On considérait ces symptômes comme des effets secondaires, liés à la perte du langage articulé, et, faute d’une étude psychologique sérieuse, on négligeait ces complications. Cependant une réaction lente commença à se dessiner. Il parut différens travaux sur l’aphasie où l’on montrait que ces troubles du langage, considérés comme secondaires, peuvent occuper le premier plan et prendre une importance énorme. Nous ne donnons pas de noms d’auteurs, il faudrait en citer trop. Disons seulement que, si la démonstration a réussi à convaincre tout le monde, c’est qu’elle a été faite au