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idée nouvelle. La lutte actuelle n’est qu’un épisode de l’éternel antagonisme de la routine contre le progrès. On se rappelle encore les protestations passionnées que l’application de la vapeur aux métiers mécaniques a soulevées dans tous les rangs de la classe ouvrière. Ç’a été un déchaînement général qui s’est traduit par des voies de fait contre les patrons, qui étaient obligés de faire garder les machines nouvelles par la force armée. Partout les ouvriers se disaient ruinés, réduits à la mendicité, ils déclaraient en gémissant « qu’on leur coupait les bras. » De leur côté, certains politiciens envenimaient la guerre de classes, répétant partout que l’introduction de chaque métier mécanique équivalait à la condamnation à mort, par la faim, desdits ouvriers… qu’il en était fait de l’industrie, qu’il ne restait plus aux ouvriers qu’à s’expatrier. Ils ajoutaient que l’application de la vapeur aurait pour résultat de supprimer toute initiative et toute intelligence chez l’ouvrier, qui serait réduit à l’état de rouage et que, par conséquent, le prix des salaires s’abaisserait dans de redoutables proportions. Que reste-t-il de ces déclamations ? Loin d’avoir supprimé le nombre de bras, l’application de la vapeur au travail mécanique a, au contraire, décuplé, centuplé peut-être, le nombre des travailleurs. Depuis cette révolution pacifique, la condition matérielle des ouvriers s’est transformée comme par enchantement. Les salaires se sont élevés à mesure que la durée des heures de travail s’abaissait, et les ouvriers ont trouvé dans les nouvelles usines des conditions d’hygiène et de confortable inconnues à leurs prédécesseurs. Que l’on compare la condition matérielle d’un ouvrier tisseur d’une des grandes usines mécaniques du Nord avec celle de l’ancien tisserand de Lille qui végétait au fond d’une cave, courbé pendant quatorze heures sur son métier, et on se rendra compte de l’heureuse évolution qui s’est produite dans le monde industriel. Tout développement lent et pacifique des aptitudes de l’humanité a pour résultat un plus grand bien-être pour l’ensemble de la société. D’ailleurs, la lenteur avec laquelle se produit cette évolution en atténue singulièrement les inconvéniens, parce qu’elle ménage les transitions et s’oppose aux changemens trop brusques dans la condition des travailleurs. Il n’a pas fallu moins de quarante-cinq ans au Bon Marché pour parvenir à son point actuel de développement ; le Louvre date de 1855 et le Petit saint Thomas a été créé en 1848.

Ce qui prouve bien d’ailleurs que la transformation des magasins de nouveautés répondait à des besoins nouveaux, c’est qu’une évolution analogue s’est produite dans toutes les branches de l’activité publique. Ainsi les grandes sociétés de crédit telles que le