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que lui font les grands magasins. De même les souffrances industrielles proviennent périodiquement de la pléthore de la production, par suite du nombre exagéré des usines concurrentes. Sur bien des points de la France, on montre des manufactures ruinées et abandonnées, et néanmoins la production industrielle n’a cessé de s’accroître.

On prétend que les grands magasins profitent de leur puissance acquise pour écraser par des abaissemens systématiques de prix toute tentative de concurrence en donnant presque pour rien certains objets pendant une période de temps, et qu’une fois la concurrence ruinée par cette manœuvre, ils relèvent les prix dans les proportions qui leur plaisent. C’est une erreur absolue. Quand les grands magasins ouvrent un rayon pour la vente d’une spécialité, les objets de cuisine, par exemple, les prix de cette spécialité ne sont pas fixés arbitrairement ; ils sont établis, comme les autres, d’après le prix de revient, mais on leur applique l’économie provenant, pour les grandes entreprises, de la réduction des frais généraux. Il en résulte que ces prix paraissent très bas comparés à ceux du petit commerce, — que l’élévation des frais généraux oblige de vendre à un cours élevé, — mais, en réalité, ils n’ont diminué que dans la proportion de ses frais généraux. Ce ne sont donc pas des tarifs de guerre, mais la résultante de faits qui se produisent toujours dans les grandes agglomérations commerciales et industrielles. Quant au relèvement des cours, il est rendu impossible par la concurrence très active et très directe que se font entre eux les grands magasins. On oublie, ou on feint d’oublier que ces établissemens n’ont rien qui ressemble de près ou de loin à un monopole. En admettant, pour les besoins de la cause, qu’un grand magasin soit arrivé, à force de bon marché, à ruiner dans un rayon étendu tous les petits magasins et qu’il lui prenne alors la fantaisie de relever ses prix, cette tentative serait promptement réprimée par les grands magasins rivaux et les magasins moyens. Cette concurrence que se font entre eux les grands magasins est si manifeste que les personnes les plus étrangères aux habitudes commerciales peuvent la constater et que les acheteurs les plus novices savent fort bien en profiter.

Ainsi par la force même des choses, sans qu’aucune entente préalable ait eu lieu, les grands magasins sont devenus les régulateurs des prix, et le public a profité du nivellement qui en est la conséquence. Ce nivellement est nécessairement maintenu par la concurrence que se font entre eux les régulateurs du marché, et cette concurrence continuerait de produire les même effets si, par impossible, les petits magasins venaient à disparaître. C’est