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Andréas Artémis, que l’on appelait familièrement Andricos, était un garçon fort intelligent et fort aimable, dont l’abondante hospitalité me faisait penser aux Grecs d’Asie-Mineure, si différens, sur ce point, de leurs compatriotes d’Athènes. Il entreprit de donner en mon honneur un grand festin. Nous traversâmes, en barque, la rade de Katapola ; la table était servie avec un luxe tout à fait inouï dans l’île d’Amorgos. Un calligraphe local avait écrit, en caractères grecs, sur du papier blanc, les noms des personnages invités. Le vin doré de Santorin étincelait, dans des carafes, avec des clartés de topaze. Deux énormes poissons, qui semblaient habillés d’une cotte de mailles d’argent, furent d’abord dévorés en silence. Mais bientôt on se mit à chanter. L’astynome faisait les soli ; l’éphore chevrotait, du nez, un accompagnement faux ; Stratakis, Kharalambos, Andricos et le liménarque reprenaient en chœur, à tue-tête, en frappant sur la table, du plat de leur main, le refrain, dont la musique traînante et indolente célébrait toujours « la bien-aimée qui est semblable à une petite perdrix. » Très tard dans la nuit, nous cheminions encore, précédés d’un falot, sur la grève déserte. La mer, assoupie, faisait, dans la nuit bleue, un petit bruit d’eau tranquille ; le ciel étincelait d’étoiles et allumait des levers d’astres dans les claires profondeurs du golfe. L’astynome, attendri par le silence des choses, faisait des tirades sentimentales sur la brièveté des joies humaines, et montrait, d’un geste large, les brillantes constellations, d’où semblait descendre l’influence bachique du divin Dionysos.

Je préférais encore à ces relations si cordiales avec les grands personnages de Katapola, de longues heures de causerie avec des laboureurs ou des gens de mer. La plupart des habitans d’Amorgos disputent aux rochers quelques arpens d’orge ou de vignes. Souvent ils vendent leurs terres pour acheter un caïque. Leurs embarcations se balancent sur leurs ancres, dans la rade, à quelque distance de la berge, qui est encombrée de cailloux. Là-bas, de toutes les choses la plus mobile et la plus changeante, c’est la mer. Elle est la vie et la joie de ces pauvres villages qui accrochent aux montagnes leurs petits bouquets de maisons blanches, parmi des citronniers clairsemés. C’est un événement, quand des caïques chargés arrivent des îles voisines, apportant des sacs de farine, des tonnes de poissons salés, et des nouvelles fraîches. Il en vient de Symi, de Syra, d’Hydra. Les matelots débarquent, joyeux, s’attablent dans un cabaret, chantent et dansent. Les rouleurs de mer sont bien les mêmes, par tous pays. Les patrons des côtes brumeuses de Honfleur ou de Dunkerque reconnaîtraient des cousins un peu loquaces, dans l’équipage des fins voiliers qui glissent, toutes