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passé sous sa férule ; mais, malgré les efforts de cet instituteur archéologue, les insulaires aiment les vieilles pierres moins pour les déchiffrer que pour les vendre. Maintenant Johannidis a quitté son école ; il mène très tranquillement, dans une maison proprement meublée, avec deux ou trois nièces empressées et gazouillantes, une existence retirée de vieux savant. Il ne se permet qu’un luxe : les livres ; il en a de fort beaux et de très bien choisis. Ce n’est pas sans plaisir que l’on retrouve, dans ces solitudes, les Monumens de l’Association française pour l’encouragement des études grecques, les publications de Rayet, d’Homolle, de Collignon, et un certain nombre d’autres livres que les caïques n’ont pas l’habitude de transporter. Johannidis s’est voué à l’étude d’Amorgos. Il connaît son île par cœur. Renseignemens historiques, chansons populaires, dictons et proverbes locaux, idiotismes du patois indigène, il a tout enseveli dans ses notes. Rien ne serait plus amusant que de feuilleter une mémoire aussi bien approvisionnée. Mais il me semble qu’il ouvre assez malaisément les trésors de son érudition. Il est avare de confidences, et j’ai rarement vu d’antiquaire plus ombrageux. J’ai appris qu’il préparait un grand ouvrage sur Amorgos : six tomes étaient prêts pour l’imprimerie. Six tomes, c’est beaucoup pour quelques kilomètres carrés ; mais les Grecs ont une puissance de compilation capable de tous les tours de force. Johannidis s’informait, avec une curiosité passionnée, du résultat de mes fouilles ; il venait presque tous les jours, armé d’un crayon et d’un carnet, me demander, avec des précautions infinies, la permission de copier les inscriptions que j’avais trouvées sur l’acropole d’Arcésiné et sur la colline où avait vécu la colonie crétoise de Minoa. Je n’osai pas, bien que Kharalambos me désapprouvât formellement, lui refuser une volupté si ardemment désirée. Malgré tout, je soupçonnais que l’arrivée d’un Franc dans l’île, en même temps qu’elle flattait son patriotisme, effarouchait un peu sa jalousie d’auteur. J’étais un intrus pour ce savant de province. Je démêlais ce sentiment, au milieu des efforts qu’il faisait pour m’accueillir avec une politesse empressée et cordiale ; il aurait voulu, tout à la fois, dissimuler un peu, à mes yeux indiscrets, les antiquités de l’île, et me montrer qu’il les connaissait bien.

Il se dédommageait en me faisant visiter, du haut en bas, un monastère qui se trouve au nord-est de l’île. Comme il pensait que l’histoire byzantine m’était tout à fait indifférente, il croyait pouvoir me faire, sans danger, des conférences sur ce sujet ; et j’en sais assez long sur le monastiri d’Amorgos. Cette maison de moines existait déjà en 1572. Le voyageur Porcacchi, dans son