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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/178

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livre sur les îles les plus illustres du monde (Isole più famose del mundo), en fait cette courte mention : e al mare un monasterio di caloieri. La petite abbaye de la Panaghia Khozoviotissa mérite mieux que cette phrase brève et dédaigneuse. Voici par quel miracle elle fut fondée. Au temps où des hérétiques impies brisaient les saintes images, une pauvre femme de Kossovo cacha trois images et les jeta dans la mer pour les préserver contre la fureur des iconoclastes. L’une d’elles fut portée par les flots jusqu’au mont Athos ; une autre vint échouer aux bords escarpés d’Amorgos ; elle fut recueillie par de pieux ermites qui, un matin, la trouvèrent dans les rochers. Il leur sembla que ce prodige était une manifestation évidente de la volonté divine, et ils jugèrent que la Panaghia exprimait le désir que l’on bâtît un monastère en cet endroit. L’empereur Alexis Comnène se trouvait alors à Patmos, en compagnie de saint Gérasimos. Il fut informé de cette trouvaille miraculeuse. L’empereur consulta le saint homme, et, sur son avis, il décida, par une bulle d’or, que les abbayes de Patmos et d’Amorgos seraient sœurs, que l’higoumène d’Amorgos serait pris parmi les moines de Patmos, et que l’higoumène de Patmos serait pris parmi les moines d’Amorgos. Cette bonne entente dura quelques années. Mais, un jour, les pères de Patmos, se rendant à l’île voisine, faillirent se noyer en route ; à partir de ce jour, ils ne voulurent plus y aller, et, comme ils étaient les plus nombreux et les plus forts, ils forcèrent les pères d’Amorgos à venir chez eux, en apportant la bulle impériale et tous leurs trésors. Le monastère de la Panaghia de Kossovo resta désert, jusqu’au jour où deux religieux, dont l’un était de Crète et l’autre de Kalymnos, vinrent s’y établir et le restaurer. On pouvait voir, autrefois, sur une grosse pierre, les noms de ces deux moines et le portrait de l’empereur ; mais un rocher est tombé sur la pierre et l’a fait rouler jusqu’au fond de la mer.

On monte au monastère, à travers des éboulis de cailloux, parmi des bouquets de thym et une véritable fête de coquelicots écarlates, le long d’un sentier de chèvre, étroit et sans ombre, qui rampe, comme une mince corniche, sur les pentes rougeâtres. D’un côté, c’est la haute paroi des rochers, perpendiculaire, comme taillée au couteau ; de l’autre, les ravins, où d’énormes blocs se sont arrêtés à mi-côte, descendent en pente raide jusqu’à la mer. On est presque au bout de l’île : Amorgos allonge sur l’eau bleue sa pointe extrême, un cap couleur d’améthyste, dentelé d’arêtes coupantes, colossal et capricieux, joli à voir dans cette lumière diffuse qui nuance, par places, de tons plus foncés, la robe de violet tendre qu’elle semble poser délicatement sur les flancs pelés