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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/189

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qu’au fond de la coquille il y en avait encore beaucoup d’autres, collées ensemble. Le pappas faisait miroiter, en le frottant avec son pouce, le fin métal, et me montrait, gravée en relief, la figure d’un empereur byzantin qui avait de grands yeux, un menton pointu, et qui était coiffé d’une haute tiare, enguirlandée de perles. Quand deux hommes causent tout seuls, la nuit, au clair de lune, en regardant des pièces d’or, le diable se met toujours un peu de la partie, et je pensais, à part moi, qu’une de ces médailles ferait un très bel effet, montée en épingle de cravate. Mais je chassai loin de moi cette idée infernale, et je dis, d’un ton sévère :

— Explique-moi, pappas, pourquoi tu ne m’as pas prévenu plus tôt de cette trouvaille, et comment ces monnaies se trouvent dans tes mains ?

— Je vais t’expliquer, kyrie. Quand ces pièces d’or ont été trouvées par les cinq hommes que tu avais mis près de la chapelle, tu étais de l’autre côté du rocher, en train de lire une inscription, et, comme tu avais confiance en moi, tu m’avais chargé de regarder ce qu’ils faisaient. L’éphore lisait un journal. Je fus donc le seul témoin de cette trouvaille. Aussitôt, les hommes se mirent en colère, et me dirent que si je te disais quelque chose, ils me battraient. Ils veulent partager ce trésor.

Je fronçai le sourcil ; je rassemblai dans ma mémoire les expressions les plus fortes que pût me fournir la langue romaïque, laquelle se prête assez malaisément aux indignations vertueuses, et je dis :

— Écoute, pappas ! Tu n’as pas suivi, dans cette action, les règles de ce qui est juste et bon. Tu devais, si tu avais médité quelque peu sur la différence du bien et du mal, m’apporter ces monnaies d’or, car c’est moi qui suis le chef ; ce n’est pas toi qui donnes aux ouvriers leur salaire, et je puis, quand je le voudrai, te renvoyer dans ta maison. En présence de l’éphore, j’aurais, avec les lumières spéciales que la destinée m’a départies, écrit en quelle année ces monnaies ont été frappées, quel est le nom de l’empereur dont tu vois l’effigie, ce que signifient les paroles que tu vois inscrites au revers, en un mot, je me serais efforcé de savoir ce que ce trésor, enterré ici par un homme mort depuis longtemps, peut nous apprendre au sujet des générations qui ne sont plus. Car les gens de ma nation aiment les vieilles médailles, non pas pour le métal jaune dont elles sont faites, mais pour la science, qui est plus précieuse que les richesses de Crésus. Ensuite, j’aurais remis, devant toi, ce trésor à l’éphore ; il en aurait fait ce qu’il aurait voulu, mais je pense qu’il l’aurait remis à ceux qui ont la garde du musée numismatique d’Athènes, ainsi que le veulent les