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qui n’a rien écrit, faute d’une langue au monde assez belle, ou d’un verbe assez spiritualisé, pour traduire la sublimité de ses pensées. Et le grand poète, — comme on disait au temps de ma jeunesse, — le grand poète, ce serait Orphée, dont il ne nous reste rien, à moins encore que ce ne fût Linus, lequel n’a sans doute jamais existé.

Quelques académiciens ne sont pas éloignés de penser les mêmes choses, mais ils ne prennent pas encore les mêmes « conclusions, » et ils ne raisonnent pas tout à fait de la même manière. C’est qu’ils en sont un peu empêchés par leur titre, si l’Académie, n’ayant de raison d’être que par et pour la « littérature, » n’a donc aussi qu’une obligation dont elle ne se puisse absolument s’affranchir, qui est de patronner « les littérateurs. » De même qu’en effet on ne conçoit guère une Académie des Beaux-Arts sans quelques peintres, quelques sculpteurs, quelques musiciens, de même on ne conçoit pas ou l’on conçoit mal une Académie française sans quelques poètes, quelques romanciers, quelques auteurs dramatiques ;.. et sans doute il en faut le moins possible, mais enfin il en faut. C’est pourquoi, si quelque illustre avocat s’honore d’en faire partie, c’est en qualité de « littérateur » lui-même, et non pas, j’imagine, à titre de jurisconsulte éminent. Comme autrefois les Dufaure et les Duvergier de Hauranne, il se rend bien compte, « quelque éclat dont il brille, » qu’il le doit à la présence auprès de lui, d’ans la Compagnie, je ne dis même pas des Lamartine ou des Hugo, je dis des Ponsard ou des Empis de son temps. Pour dédaigneux qu’il soit de la « littérature, » il est bien obligé de convenir avec lui-même, qu’il n’aurait pas brigué son « fauteuil, » si cinq ou six générations de « littérateurs » ne l’avaient occupé avant lui... Et cela ne laisse pas de le gêner pour dire toute sa pensée sur les « littérateurs » et la « littérature. »

Mais nous l’entendons de reste ; et quand il se demande : « si vraiment le monde des lettres — c’est lui qui souligne, — n’est qu’un syndicat professionnel où l’on fabrique par état des drames, des romans, et des comédies, des comédies, des romans et des drames, terminés invariablement par un duel, un assassinat, un suicide ou un mariage, » nous le comprenons. Nous le comprenons encore, quand il se flatte « qu’un jour viendra peut-être, où la vogue et la renommée iront au moins pour une bonne part au politique ou au soldat qui dit avec simplicité ce qu’il a fait ; au philosophe ingénu qui exprime avec sincérité ce qu’il a pensé ; à l’honnête témoin qui raconte ce qu’il a vu ; au voyageur qui, venant de loin, nous dira en bon français :


J’étais là, telle chose m’advint. »


Mais, si la question n’est pas trop indiscrète, combien M. Rousse en connaît-il, de ces « philosophes ingénus » qu’il appelle ? Combien de