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situation parlementaire et ministérielle n’est rien moins que claire. Elle était déjà singulièrement troublée, elle ne se simplifie pas. Le comte Taaffe a beau déployer toute sa dextérité, tout son art des combinaisons pour rajuster sa majorité, pour maintenir l’équilibre des nationalités, il se retrouve toujours au même point. Il est vrai qu’il joue sans se troubler cette singulière partie depuis douze ans !

La difficulté vient toujours de ce malheureux compromis par lequel on a essayé de concilier Tchèques et Allemands en Bohême et qui a si peu réussi, qui n’a servi qu’à rallumer le conflit des nationalités, à donner une force nouvelle au parti des jeunes Tchèques. Loin de s’apaiser, la lutte n’a fait que s’envenimer depuis quelque temps et vient de se raviver plus ardente, plus passionnée que jamais dans le Reichsrath, par les discours enflammés des chefs des jeunes Tchèques, M. Vaschati, M. Gregr. La jeune Bohême, obstinée à ses revendications, a déclaré la guerre aux Allemands et même presque à l’État autrichien, au moins au système temporisateur et décevant du premier ministre de l’empereur François-Joseph. Si le comte Taaffe s’était fait quelque illusion et s’était flatté de louvoyer encore pour laisser aux esprits le temps de s’apaiser, il est au bout de sja politique de ce côté. Les Tchèques, qui ont été jusqu’ici un des élémens de sa majorité, lui manquent depuis les élections dernières, depuis la défaite de M. Rieger et l’apparition bruyante des jeunes Tchèques. Il s’en est bien aperçu, et il a cherché ailleurs un appui. Depuis six mois, il négocie avec les chefs de la gauche allemande qu’il s’efforce de gagner sans trop se livrer à eux cependant. Le dernier discours de M. Gregr paraît avoir précipité l’évolution et le comte Taaffe s’est décidé à modifier son ministère. Il n’a pas appelé au pouvoir les chefs du parti allemand, M. de Plener, M. Chlumecki ; il a introduit dans son cabinet un de leurs amis, le comte Kuenburg. En d’autres termes, il a suivi sa politique ; il a fait une concession en la limitant. Il était hier avec les nationalistes modérés, il est aujourd’hui avec les Allemands. Il se flatte visiblement de rester maître de la situation ; il l’a été plus ou moins jusqu’ici. On peut se demander seulement si la politique représentée par le comte Taaffe ne finira pas par s’user à ce jeu perpétuel entre les partis qui divisent l’Autriche.

Au point où en sont les choses, non sans doute, il n’y a rien de grave, d’immédiatement grave en Europe à cette fin d’année. Il n’y a pour la plupart des pays que les mille affaires qui se traitent entre les gouvernemens et les parlemens, qui sont une œuvre d’administration intérieure. Les problèmes de politique européenne sommeillent. Si ce n’étaient les questions de régime commercial, de rapports commerciaux qui touchent, il est vrai, tout le monde, qui ont certes leur signification et leur importance dans la vie internationale, il n’y aurait pour le