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difficilement persuader : « C’est un fripon, disait-il, je ne veux rien avoir à faire avec lui, je voudrais qu’il fût khan de Tartarie. » — « Et moi aussi, répondait Chesterfield en souriant, mais comme il ne dépend pas de nous de l’y envoyer, plus il est fripon, plus il est utile d’avoir un espion auprès de lui qui sache quel coup il médite. » — L’envoyé enfin nommé, sir John Legge, emporta pour instructions de donner au roi de Prusse la promesse qu’aucun traité ne serait signé sans contenir la garantie de la conquête de la Silésie et de toutes les stipulations des traités de Dresde et de Breslau. Il était chargé, en outre, de lui représenter le danger qu’il courrait lui-même, en laissant anéantir en Hollande un des centres principaux du protestantisme. Il était même autorisé à aller jusqu’à faire, au nom des intérêts communs des puissances protestantes menacées, l’offre d’un traité d’alliance. Ainsi courtisé des deux côtés, Frédéric répondait, de part et d’autre, à droite comme à gauche, par des témoignages également insignifians, de bonne grâce et de bonne volonté. Il comblait plus que jamais de politesses le maréchal de Saxe. « — Je vous attends, dans trois mois, lui écrivait-il, au bord du Texel, » — et il lui faisait remettre, pour le seconder dans le siège de Maestricht, s’il avait dessein de le reprendre, un plan détaillé des fortifications de cette ville, dont le hasard l’avait rendu possesseur. Mais il n’en faisait pas moins assurer à l’oreille le cabinet britannique qu’il entrerait dans une alliance aussi intime qu’on voudrait avec l’Angleterre, dès qu’il serait libre de ses engagemens envers la France[1].

L’Allemagne se trouvant ainsi délaissée par la seule force qui put la défendre, les Russes, une fois entrés, n’y devaient plus rencontrer d’obstacles. Mais ce n’était pas assez que la voie fût libre, il fallait auparavant que la porte en fût ouverte, et c’était l’électeur de Saxe, roi de Pologne, qui en tenait les clés. Celui-là, tel que nous le connaissons, devait se trouver en vérité plongé dans le plus cruel embarras. La politique d’équilibre et de bascule entre les parties adverses, ce système de double jeu et à double face que, par les conseils de Brühl, Auguste III avait réussi si habilement à

  1. Frédéric à Maurice de Saxe. — Pol. Corr., t. Vi, p. 10, 23-38. — Cet envoi du plan de Maestricht n’eut pas l’avantage que Maurice de Saxe avait dû en espérer et tourna même contre le but proposé. L’expédition eut lieu, en effet, par l’intermédiaire d’un officier supérieur du génie nommé Walrave, chargé de la surveillance et de l’entretien des fortifications prussiennes. Cet agent se laissa corrompre à ce moment même par l’ambassadeur d’Autriche à Berlin et lui remit le double des pièces qu’il avait entre les mains. — Droysen, t. III, p. 420 et suiv. (Correspondance de Valori, février 1748. — Instructions de Klingraeft, envoyé prussien à Londres. — Pol. Corr., t. VI, p. 57.)