Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pratiquer et qui consistait à tendre une main aux subsides de la France, tandis que de l’autre il apposait sa signature à un traité de ligue austro-russe, était mise pour le coup à forte épreuve. Il semblait qu’il lui fallût prendre son parti ou d’encourir le courroux des deux impératrices en arrêtant la marche des Russes dès le premier pas, ou d’offenser le beau-père de la dauphine en souhaitant le premier la bienvenue à ses ennemis. Quel moyen de sortir de l’alternative ? Et la difficulté était singulièrement compliquée en Pologne, même par la situation des diverses factions dont l’hostilité entretenait dans cette malheureuse contrée une constante agitation. Des deux partis qui divisaient la noblesse polonaise et qui, sans cesse aux prises, étaient toujours à la veille d’en venir aux mains, il en était un qui avait la Russie pour protectrice avouée. La politique des tsars avait, en effet, toujours consisté à fomenter la discorde chez ses turbulens voisins et à s’y créer une clientèle à sa dévotion qu’elle soutenait dans ces luttes intestines par son concours armé ou pécuniaire. Il y avait, en Pologne, un parti russe connu pour tel, dont l’illustre famille Czartorisky tenait la tête. Or c’était ce parti même qui, d’abord par ses suffrages, et ensuite au prix d’une lutte acharnée et sanglante, avait réussi à investir Auguste III du simulacre de royauté dont il portait le titre. C’était ce même parti qui, chaque année dans les débats orageux que ramenait périodiquement la réunion des diètes, aidait le roi à défendre ses chétives prérogatives. Regarder la Russie en face, lui tenir tête, lui fermer l’entrée de la Pologne, c’était donc, pour Auguste III, rompre avec ses partisans et se livrer à des adversaires encore pleins des ressentimens d’injures récentes et qui, le tenant à leur discrétion, lui feraient payer cher un appui qu’ils ne lui prêteraient probablement que pour un jour. C’était aussi renoncer à l’espoir qu’il avait toujours nourri de léguer à son fils ses deux couronnes, l’élective aussi bien que l’héréditaire. On ne pouvait en conscience lui demander un tel sacrifice.

Aussi Auguste III ne vit-il d’autre parti à prendre que de faire montre à la fois de sa bonne volonté et de son impuissance. A la réquisition officielle des puissances maritimes, il répondit par un refus qu’il eut soin de faire officiellement constater, mais il n’eut garde d’expédier aux faibles magistrats qui le représentaient en Pologne aucun ordre qui leur permît d’opposer, à l’entrée du premier bataillon russe, même une ombre de résistance effective ; puis il s’en remit humblement à la générosité de Louis XV en le suppliant de ne pas insister pour exiger de lui un acte de témérité qui n’aurait d’autre résultat que de causer la ruine du père de sa belle-fille : — « Que voulez-vous, disait Brühl en soupirant, la réponse faite par Sa Majesté de bouche et par écrit prouve que Sa