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soumise aux délibérations du parlement. Après quoi, il se retira posément, sans oublier de saluer le président, au milieu des bravos enthousiastes de la petite troupe des patriotes irlandais. Il alla se placer sur le premier banc d’une tribune et, de là, considéra avec un grand calme le bouillonnement, la vaine agitation, le désarroi physique et mental de ses adversaires. En effet, en y regardant de plus près, on avait reconnu que la phrase était inattaquable. M. Parnell avait énoncé une opinion historique sur le passé de la domination anglaise en Irlande. Il n’avait point manqué de respect à la chambre ; il avait parlé seulement « d’entraver l’action du gouvernement. » Mais l’opposition fait-elle autre chose, et bien d’autres n’avaient-ils pas parlé de même avant lui ? Il fallut s’avouer qu’on avait manqué de tact, d’intelligence, de sang-froid ; il fallut reculer, laisser tomber la motion dans le vide. Le parlement dut subir la rentrée de M. Parnell, qui acheva son discours sans avoir rien rétracté.

Six jours après, eut lieu la dernière délibération sur cette loi de malheur. Les amis de Parnell et de Biggar se relayèrent pour faire durer le débat et provoquer de nouveaux retards par des amendemens et des votes incessans. Toute la nuit, ils parlèrent dans la sonorité d’une salle vide. Lorsque le soleil du matin vint éclairer ces visages blêmis par l’insomnie, il n’y avait plus dans la tribune réservée aux spectatrices qu’une seule femme. C’était Fanny Parnell, dont le souffrant et énergique visage encourageait encore de là-haut la résistance de son frère et de ses amis. Il était deux heures de l’après-midi quand la petite bande s’avoua vaincue, comme se rend une infime garnison, longtemps bloquée par une puissante armée, après avoir brûlé sa dernière gargousse et mangé son dernier morceau de pain.

L’effet produit en Irlande fut immense. Trois semaines après la mémorable séance de vingt-six heures, Parnell faisait à Dublin une entrée triomphale (21 août). Dès l’année suivante, le gouvernement anglais, jusque-là si insensible aux revendications des Irlandais, faisait passer une loi sur l’éducation conforme aux indications de leurs représentans et essayait ainsi de se les rendre propices. La politique obstructionniste devenait déjà une politique de résultats.

Isaac Butt avait affecté de rire du mouvement. Puis il s’était fâché et avait solennellement excommunié les coupables, mais bientôt ses propres partisans l’avaient abandonné. La plupart étaient des quémandeurs de places ; mais, pour occuper des positions lucratives sous le futur gouvernement Gladstone, il fallait d’abord être réélus, et pour être réélus, il fallait suivre le mouvement de l’opinion