Lowther, le plus incapable parmi tous les incapables qui se sont succédé à la secrétairerie de l’Irlande, que, « dans ce pays, le problème politique n’avait rien à voir avec la question de la propriété foncière. »
C’est alors que Michel Davitt conçut son plan et fonda la land league pour le soutenir et l’exécuter. La land league n’était pas une société secrète ; elle n’était révolutionnaire ni dans son but ni dans ses moyens. Rien de si public que son programme, et, j’ajouterai, rien de plus légitime. Si l’on relit aujourd’hui, de sang-froid, les anciennes circulaires et les premiers manifestes de cette ligue, répandus à travers l’Irlande et l’Amérique à des millions d’exemplaires, on reconnaîtra, et l’histoire dira, que ceux qui les ont écrits étaient d’honnêtes gens et des hommes d’État.
Ils proposaient une série de mesures provisoires propres à remédier aux souffrances. Eux aussi, ils voulaient garantir le fermier contre les caprices ou la rapacité des propriétaires. Mais ils voyaient plus loin et de plus haut. Le tenant right n’était qu’un palliatif, le débris d’un droit bizarre et suranné, une conception ambiguë et naïve, propre aux âges de bonne foi et d’ignorance, merveilleusement apte, dans le nôtre, à enfanter des procès. Le vrai principe, à leurs yeux, c’est que la terre doit appartenir à celui qui la cultive. C’est pourquoi Davitt et ses amis voulaient constituer un corps de paysans-propriétaires analogue à celui qui existe en France et qui en fait le pays le plus conservateur de l’Europe, le mieux abrité contre la révolution sociale. Et comment ce but serait-il atteint ? Par la revendication violente des terres autrefois usurpées ? Non, mais par le rachat graduel de la propriété, par un transfert légal dont les étapes et les moyens étaient minutieusement détaillés. Aucun appel à la violence ni aux souvenirs amers, beaucoup de documens, beaucoup de preuves, avec cette clarté irrésistible et cette simplicité puissante qui mettent les grandes idées à la portée de tous.
Cependant M. Parnell hésitait à s’enrôler parmi les fondateurs de la ligue, à lui donner son nom, déjà populaire. Il sentait que ce grand mouvement allait remuer l’Irlande jusqu’en son fond, jusqu’à la vase ; il prévoyait des solidarités involontaires et de pesantes responsabilités. Si l’on persistait à refuser ces choses si justes, et que le peuple se soulevât, serait-il maître de l’arrêter ? Et sur quel front retomberait la première goutte de sang répandue ? Il songeait à toutes ces choses, mais n’en disait rien : assis dans un fauteuil, il fumait et écoutait en silence Michel Davitt exposer ses plans. A la fin, Parnell se leva, secoua la cendre de son cigare et dit : « Je le ferai... Je ne sais si je pourrai m’entendre avec