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tous vos amis... N’importe : je le ferai, I will do it. » En effet, il le fit. Il semble même qu’à dater de ce jour il ait trouvé sa vraie mission, car il a plus d’une fois répété, dans le cours de sa vie : « Mon œuvre est de résoudre la question agraire et de rendre le sol de l’Irlande aux Irlandais. »

Pour alimenter cette puissante machine, il fallait de l’argent : Parnell alla en chercher en Amérique. Il s’adjoignit comme secrétaire Timothée Healy, qu’on voit ici apparaître pour la première fois. Petit-fils d’un maître d’école de Bantry, élève des frères de la doctrine chrétienne, commis à Newcastle, puis employé de commerce à Londres et correspondant d’une feuille irlandaise, c’est dans cette modeste situation que Parnell l’avait découvert et deviné. Ils parcoururent ensemble les États-Unis. Le champion de l’obstructionnisme fut admis à l’honneur de donner une conférence, à Washington, devant les membres du congrès. Partout on l’acclama ; derrière lui il laissait des associations vivaces, affiliées à la land league, et auxquelles les plus humbles apportaient leur souscription. Réunies, ces oboles du pauvre formèrent un trésor. C’est depuis ce temps qu’il est devenu spirituel de dire, en Angleterre, que le sort de l’empire britannique est entre les mains des bonnes d’enfans et des garçons marchands de vin de New-York et de Chicago, comme autrefois celui de l’empire romain dépendait des barbares Ostrogoths ou Wisigoths. Ce mot fait passablement dans un article de journal, mais est-ce bien un argument ?

Averti que la dissolution se préparait, Parnell revint en hâte. Débarqué à Queenstown quelques jours avant les élections, il déploya une activité que ses amis eux-mêmes caractérisent de « diabolique. » Cinquante mille francs, fournis par la land league, formaient tout le budget électoral du parti. Avec ces faibles ressources, Parnell fit face à tout, se montra presque en même temps sur tous les points du pays, se présenta lui-même dans trois circonscriptions, où il fut élu. Aussitôt après les élections, cinquante et un députés se réunirent au City-Hall de Dublin., au milieu de cette attente anxieuse, de cette émotion de l’inconnu qui caractérise les commencemens de révolution. C’étaient des hommes nouveaux appelés à soutenir une politique nouvelle. On les regardait et ils se regardaient entre eux avec curiosité, comme durent se regarder, dans les rues de Versailles, les députés du tiers en mai 1789.

Ce qui manquait, dans cette assemblée, c’était la gentry campagnarde, cette classe de propriétaires qui, suivant l’idée anglaise, donnent seuls de la respectabilité et de la substance à un parti. Mais comment cette classe eût- elle été représentée parmi des hommes qui venaient la combattre et la déposséder ? Dans le