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C’était l’armée ennemie : elle chantait à son tour l’hymne de Sullivan.

Tels étaient les hommes qui choisirent pour chef, au lendemain des élections de 1880, Charles Stewart Parnell. On convint de soutenir devant le parlement la politique de la land league, de ne s’inféoder à aucun des deux partis anglais, de n’accepter aucune place qui dépendît du gouvernement. Ces points réglés, on marcha au combat.


IV.

En arrivant au pouvoir, M. Gladstone n’avait pas de plan arrêté sur les questions irlandaises. En délivrant ce malheureux pays des dîmes ecclésiastiques, en lui donnant le land act de 1870, il avait montré, tout au moins, d’honnêtes et libérales intentions à son égard. Une de ses grandes réformes, l’établissement du scrutin secret, avait été, pour l’Irlande, un bienfait plus grand que les actes qui la concernaient directement, parce que le scrutin secret avait assuré la liberté et la sincérité des élections. M. Gladstone avait donc quelque droit à se considérer comme l’ami et le bienfaiteur de l’Irlande. Il ne demandait qu’à continuer ce rôle et, dès sa première année de pouvoir, en 1880, il préluda à des réformes plus larges par quelques mesures partielles qui devaient, pensait-il, commencer l’œuvre de réparation et d’apaisement. Ces mesures furent toutes rejetées par la chambre des lords, à l’exception du Relief of distress bill, dont le titre indique le but. L’Angleterre aristocratique était prête à faire l’aumône à l’Irlande. Mais ceux qui demandent justice n’acceptent pas la charité. Cependant le désordre, en Irlande, croissait pour ainsi dire d’heure en heure. Qui avait créé cette intolérable situation ? Autour de M. Gladstone on accusait la land league, et la land league, à son tour, attribuait le mal aux évictions qui s’étaient multipliées, comme toujours, au lendemain de la famine. L’Irlande était-elle une coupable ou une malade ? Fallait-il la punir ou la traiter ? C’était un dilemme, mais on doit bien se garder de croire que les dilemmes étonnent ou embarrassent M. Gladstone. Il les recherche, il s’y complaît. Il lui faut une antithèse pour exciter ses facultés. S’il est mis en demeure par les circonstances de choisir entre deux partis opposés, il les choisit tous deux. Sa politique favorite est ce bizarre et ingénieux entrecroisement de deux motifs qui se poursuivent sans jamais s’atteindre et que les musiciens appellent une fugue.