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ses partisans. Dès le soir même, il était à son poste, dénonçant l’abus de pouvoir du speaker avec cette calme hardiesse et ces termes froidement insolens dont il était coutumier.

Cependant la loi semblait porter ses fruits même avant d’avoir été approuvée par les lords et d’avoir reçu l’assentiment royal, Michel Davitt était arrêté et, comme ses amis réclamaient l’explication du fait, un des ministres répliquait que le forçat libéré Davitt avait violé les conditions auxquelles il avait été mis en liberté. — « En quoi, demanda-t-on, les a-t-il violées ? » Point de réponse. M. Dillon, ayant osé disputer la parole au speaker était, pour ce fait, suspendu de ses fonctions de député et expulsé par la force. Le premier ministre allait parler : Parnell se leva et proposa « que M. Gladstone ne fût pas entendu. » Cette motion, tombée en désuétude depuis plus de deux siècles, avait été retrouvée et utilisée par M. Gladstone lui-même, peu de temps auparavant, pour fermer la bouche à un catholique irlandais qui se plaignait de M. Challemel-Lacour, alors ambassadeur de la République française à Londres. Parnell retournait ironiquement contre le premier ministre l’arme surannée dont il s’était servi. Le speaker ayant refusé d’admettre cette proposition, jugée inconvenante, Parnell insista en termes amers et méprisans. Son expulsion fut prononcée. Il refusa « respectueusement » de se retirer, et déclara qu’il ne céderait qu’à la force. Dans cette vénérable enceinte où tout est fiction et symbole, la « force » était représentée par le sergent d’armes, le vieux capitaine Gossett et par ses huissiers (messengers) qui avaient, dit-on, deux cent soixante ans à eux quatre. M. Parnell n’entendait pas donner à ses collègues le hideux spectacle d’une lutte corps à corps, semblable à celle de Bradlaugh avec ses quatorze policemen. Il avait seulement voulu pousser la résistance jusqu’aux dernières limites de la légalité et de la décence. Dès que la main de l’huissier se fut posée sur son épaule, il se retira avec dignité. Les autres députés irlandais, ayant refusé de voter (l’abstention n’est pas permise aux présens), furent expulsés de la même façon. Ce jour-là le parlement anglais avait offert au monde une nouvelle édition, très augmentée, du fameux : « Empoignez-moi, monsieur Manuel ! » qui fit bouillonner le sang dans les veines libérales de nos grands-pères. A Londres, la scène parut bonne et on la reprit souvent, parfois avec tant de brutalité et de légèreté qu’on expulsa des absens.

Les vacances qui suivirent la tumultueuse session de 1881 virent à l’œuvre les agens de Forster. Un matin d’octobre, Parnell, qui venait de commencer une tournée oratoire à travers les quatre provinces, fut arrêté dans un hôtel de Dublin, où il avait passé la