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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/328

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la stridente chanson du perdreau mâle qui vibrait soudain dans la pièce comme un appel et comme un défi.


XLI.

Parfois le soir, quand le temps s’arrangeait, il allait tendre ses lacets aux lapins et aux lièvres, et George, se disant las, restait près de Francine, profitait de ces quelques instans où ils étaient à peu près seuls, Gustou allant et venant de la cuisine à l’étable, pour prendre vis-à-vis d’elle une attitude plus significative, les privautés initiales des serremens de mains, des propos hardis, des étreintes par surprise, comme pour rire.

Ces jours-là, par extraordinaire, au retour de sa course dans les bois, la Mort était presque gai, racontait des histoires gaillardes à table, appelait Francine « notre femme » avec un laisser-aller et une tendre satisfaction qui la stupéfiaient elle-même.

Un soir, comme ils allaient se jeter sur leur lit de feuilles sèches, George occupant dans la pièce voisine le seul grabat de la maison, il lui demanda à brûle-pourpoint :

Il ne t’a pas donné d’argent encore ?

Francine ne disait mot, confuse, toute tremblante ; alors d’une voix brève, qui ne souffrait pas de réplique, il ajouta :

— Faut qu’il t’en donne !

Et comme si la même pensée fût venue à George, après les menus cadeaux, sous prétexte d’indemniser ses hôtes et de bien vivre, d’avoir du café, des liqueurs, du pain blanc, il laissait tomber maintenant des louis d’or dans le tablier de la paysanne, lui disait tout haut devant les autres :

— Voilà pour que vous vous souveniez longtemps, votre homme et vous, de mon passage.

Et tout bas, quand ils étaient seuls :

— C’est aussi pour que vous m’aimiez.

Et elle se laissait faire, la Francine, acceptait des deux mains autant pour obéir à Bertal que par avidité naturelle, et aussi pour sa satisfaction d’amoureuse, par entraînement vers ce beau garçon si bien mis, dont les paroles étaient douces à entendre et les lèvres si parfumées et si chaudes sur les siennes...

... Une nuit, vers trois heures, Bertal se leva, partit sans vouloir réveiller George. Il allait très loin, disait-il, bien au-delà de Saint-Estèphe, pour prendre connaissance du gibier, les environs commençant à se dépeupler. Et en l’absence de Gustou qui promenait les chiens, ce fut pour les deux amans une matinée radieuse, où ils se grisaient l’un de l’autre, savouraient l’exquis engourdissement des caresses lentes.