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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/352

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LIII.

Un soir, après en avoir longuement conféré avec sa femme, Génulphe se décida à tâter le terrain, à faire sans qu’il y parût quelques avances.

L’occasion était bien choisie du reste ; tous réunis autour de la table, et le dîner touchant à sa fin, à l’heure où l’on grignote par gourmandise, l’appétit satisfait, l’esprit porté à l’optimisme sous la jouisseuse torpeur de la digestion.

Et Dupourquet n’avait pas à sauter à pieds joints dans la question, à se découvrir imprudemment dans une action décisive ; les circonstances le servaient à souhait, on avait parlé mariage tout le temps du repas ; l’aînée des Pidancier qui épousait un lieutenant de la ligne, en retraite, nommé percepteur à Sauzet ; il n’avait donc qu’à pousser une reconnaissance, à savoir quelles étaient, en principe, les idées de Julien à cet égard ; et ce fut d’une voix très naturelle qu’il déclara :

— C’eût été un parti pour toi, mon garçon, cette petite Marthe ; pas belle, même un peu boiteuse, mais des qualités, un avoir suffisant, bien qu’ils soient là dedans toute une ribambelle.

Julien répondit avec un sourire :

— Je suis pauvre et n’ai pas le droit d’élever bien haut mes prétentions ; pourtant, il me serait pénible de ne conclure qu’une affaire, de prendre une femme pour ses écus, sans que le cœur y soit. J’aurais préféré à Mlle Pidancier une pastoure jolie et vaillante, ne m’apportant en dot que son amour et ses chansons.

Dupourquet lui caressa paternellement l’épaule :

— Et en cela, tu as raison, mon brave. L’argent n’est parfois qu’un mauvais conseiller, on commet en son nom force boulettes, puis, quand on s’en aperçoit, il est trop tard !.. Cependant, il est permis d’espérer... il y a des circonstances où l’on peut trouver le tout ensemble, et les convenances personnelles qui sont le gage assuré du bonheur, et l’aisance qui y contribue pour une bonne part... Voyons ! tu n’as pas encore songé au mariage, toi ?.. il n’y a par là aucune frimousse qui t’ait tapé dans l’œil ?..

Thérèse, un peu gênée, s’occupait de son fils, n’en finissait pas de lui détacher sa serviette. Julien, redevenu sérieux, répliqua :

— Bah ! rien ne presse ; il faut réfléchir longtemps avant de décider si oui ou non l’on s’aime.

— Dame ! tu es dans l’âge cependant. Si on attend trop, on n’a plus le même cœur à faire son nid ; et puis les années arrivent, on est vieux avant de comprendre qu’on n’a pas su jouir d’être jeune...