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Du côté de Fumel, un orage montait, s’étendant comme une mer, faisant à l’horizon les collines toutes noires.

— Vous voyez bien ; c’est de l’imprudence, de la folie !

Elle consulta Julien du regard.

— Nous arriverons, je l’espère, avant la pluie, assura-t-il, mais il n’y a pas un instant à perdre.

Alors elle ne voulut rien entendre, brusqua les adieux en entraînant son fils...

... Maintenant, au-dessus de leurs têtes, les nuages se plombaient, se déplaçaient lentement, compacts comme une armée, poussés par quelque courant formidable, charriant la foudre. Sur la campagne, au contraire, une chaleur concentrée de four, un accablement qui pesait sur tout, oppressait la terre, laissait immobiles et ternes les feuillages ; et l’orage avançait toujours, tenait toute la largeur du couchant.

Derrière les coteaux de Lacapelle et les bois de Butys, de petites brumes blanches s’élevaient, couraient dans une lueur rousse fantastique qui éclairait ce côté du ciel. Julien, très inquiet, déclara :

— Si d’ici dix minutes le vent ne balaie pas tout ça, nous aurons de la grêle.

Ils accéléraient le pas de plus en plus, Thérèse, essoufflée, le sang aux joues, tendant sa volonté, concentrant ses forces à aller de l’avant ; et l’enfant, qui marchait entre eux, ne pouvait tenir à cette allure, buttait aux pierres, se faisait traîner en geignant. Alors Julien l’enleva de terre lestement, le plaça à califourchon sur ses épaules, et ils se mirent à courir, pris en plein flanc par la rafale qui maintenant se déchaînait, ployait ou brisait tout sur son passage, depuis les fourrages et les blés jusqu’aux maîtresses branches des chênes.

Thérèse, découragée, s’écria :

— Jamais nous n’arriverons, je ne peux plus, moi !..

Il y eut dans l’air une raie de feu, un déchirement livide, instantanément suivi d’une détonation qui se prolongeait, semblait rouler d’échos en échos dans l’infini lointain, et de larges gouttes tombèrent rares, tout d’abord, rendant comme un claquement sur la terre sèche.

Alors, Julien chercha des yeux un abri quelconque. Ils étaient à mi-chemin seulement du Vignal, deux kilomètres encore qu’il ne fallait pas songer à entreprendre, vu l’état de fatigue et d’énervement où se trouvait Thérèse.

Au bout d’un champ de maïs, sur la gauche, s’ouvrait une de ces cabanes en torchis de paille de seigle où les paysans remisent leurs outils, et se réfugient pour collationner par les chaleurs torrides