Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soumis de ses enfans. Aussi bien, les leçons de Léon XIII en valent la peine.


I.

L’intervention de l’État, tel est le point central autour duquel toute la question sociale tourne. Quelle position va prendre, à cet égard, la papauté ? L’Église est-elle pour l’ingérence de l’État, ou bien, l’Église est-elle contre l’ingérence de l’État ? Catholiques ou hétérodoxes, il faut, au dire du grand nombre, qu’on soit pour ou qu’on soit contre ; ici, comme en toutes choses, à ses yeux, pas de milieu. L’Église, pour employer le jargon à la mode, est-elle ou n’est-elle pas « interventionniste ? » Les uns répondent oui, et les autres répondent non.

Comment cela ? C’est que, selon la remarque d’un catholique, rien ne prête autant à l’inexactitude comme « la manie de classer les hommes et les idées en groupes séparés et désignés par des néologismes spéciaux[1]. » Ici, surtout, pareille classification risque d’être trompeuse, car d’hommes qui n’admettent, en aucun cas, l’intervention de l’État, j’avoue que, pour ma part, je n’en connais point. En un sens, tout le monde serait «interventionniste,» car tout le monde admet, en principe, avec Léon XIII et avec les théologiens, « que l’État doit protéger les droits de chacun et qu’à l’État revient la répression des abus. » Ce n’est point là-dessus que porte le différend ; il porte, en réalité, moins sur le principe que sur l’application, sur la manière dont l’État doit protéger les droits et réprimer les abus. Où commence, où finit, jusqu’où s’étend ce rôle de protection des droits individuels, dévolu à l’État ? Sur ce point, les hommes ne s’entendent plus. Catholiques ou libres penseurs, les modernes ne se forment pas tous la même idée des attributions de la puissance publique. Or, cette divergence a, pour nos sociétés, une importance autre que les luttes des républicains et des monarchistes, ou les querelles des opportunistes avec les radicaux. C’est là, et non dans nos fastidieuses controverses sur les formes de gouvernement ou sur la valeur des constitutions, qu’est pour les nations modernes la question capitale.

Il est de bonne foi de le reconnaître : le « laisser-faire, » le « laisser-passer» a naguère, en quelques États, joui d’une autorité qu’il ne méritait pas toujours. Ce fut, en son temps, une devise libératrice ; mais c’était une devise négative, et ni la science, ni les sociétés ne

  1. Quelques mots d’explication, par le comte Albert de Mun, extrait de l’Association catholique. Paris, 1890.