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pape Léon XIII a d’avance entendu ces réflexions chagrines. Ce qui distingue son langage de celui de ses prédécesseurs, ce qui en fait la nouveauté, c’est, précisément, qu’il ne se borne point à nous entretenir de religion et de morale. Il sait, tout le premier, que, à ces foules sans foi, cela ne suffit plus. Aussi, après nous avoir rappelé que Dieu seul nous peut sauver, il ne refuse pas de considérer les moyens proposés par la sagesse ou par l’imagination des hommes pour pacifier les sociétés contemporaines. Et ces moyens tout humains, tout terrestres, le souverain pontife les examine avec une sollicitude bienveillante et patiente, non point en mystique enclin à en montrer la vanité, — Léon XIII est ici le moins mystique des papes ; il n’a garde de promettre aux nations des cures miraculeuses ; il ne leur enjoint pas de se traiter uniquement par la prière et le recours aux grâces d’en haut, — mais en homme pratique, jaloux de trouver des solutions prochaines et sincèrement anxieux d’améliorer la position matérielle des classes ouvrières.

Il y a, pour cela, deux voies ouvertes devant nos sociétés : l’une est l’intervention de l’État, l’autre est l’association professionnelle. Ces deux voies parallèles, Léon XIII les a, toutes deux, explorées, en relevant le tracé, en notant les fondrières, cherchant si l’Église y devait pousser les démocraties modernes, et à quelle condition elle pourrait leur y servir de guide. Ce qu’il pense de la première, de la plus large, de celle où se précipitent d’instinct les foules, nous l’allons voir aujourd’hui.

Des centaines d’évêques, parmi les mille et quelques prélats que compte l’épiscopat catholique, font, chaque mois, déposer au pied du trône pontifical le témoignage de leur reconnaissante admiration pour le langage tenu au monde du travail. Ainsi convient-il à qui porte la mitre et la crosse ; les hauts dignitaires de l’Église, à la fois fils et frères du pontife suprême, n’ont qu’à célébrer la prévoyance de leur chef. Ce n’est pas là pourtant, nous semble-t-il, le meilleur hommage à rendre à la papauté et au pape. Il y a mieux à faire que d’aller encenser la sagesse pontificale de laudatives formules qui s’évaporent en fumée. Le pape est rassasié d’hommages, et, s’il ne craignait de froisser la piété de ses fils, il nous dirait qu’il a assez de l’odeur de l’encens, et qu’il est las de n’entendre que des hommes qui lui parlent à genoux. Pour nous, laïques, l’hommage le plus loyal, — je ne me permettrais pas de dire le plus flatteur, — que nous puissions rendre à sa sagesse, c’est de prendre ses enseignemens sociaux, de les étudier, de les peser en conscience, avec la respectueuse liberté que, en semblable matière, Rome n’a jamais, que nous sachions, contestée aux plus