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III.

Et quand l’État moderne serait plus équitable et serait plus éclairé ; quand il serait autre chose, en réalité, qu’une collectivité irresponsable exerçant le pouvoir par des mandataires changeans et passionnés ; quand il se déferait de son esprit sectaire et de ses procédés tyranniques, nous douterions encore, pour réglementer l’usine et l’atelier, de sa compétence et de sa capacité. L’État est une machine pesante, aux rouages lents, inutilement compliqués, qui, pour le plus petit travail, exige une dépense considérable de combustible et de main-d’œuvre ; aucune n’a un rendement plus faible et ne laisse perdre autant de force ; par suite, plus on étend l’action de l’État, plus on risque d’appauvrir le pays. Au lieu de hâter le développement de la richesse nationale, l’intervention de l’État est faite pour le ralentir, en comprimant les libres facteurs de la richesse et du travail. Il est un reproche, en tout cas, auquel son ingérence ne peut échapper et qui, en matière sociale ou économique, est des plus graves, c’est que l’immixtion de l’autorité publique énerve l’initiative privée. Or, cela seul serait inquiétant, car l’initiative privée a, de tout temps, été le grand ressort du progrès ; le briser ou le paralyser en l’enveloppant de lois et règlemens qui en arrêtent ou en gênent le jeu, ce serait entraver les progrès de l’industrie et le progrès de la richesse, partant retarder l’amélioration du bien-être des masses. — Ce n’est point tout : dans les questions sociales elles-mêmes, dans les questions proprement ouvrières, l’ingérence de l’Etat, avec ses procédés vexatoires et ses habitudes tracassières, n’aboutit souvent qu’à déprimer, au lieu de les stimuler, les forces privées et les énergies vivantes, la philanthropie humanitaire ou la charité chrétienne. Nous en avons déjà la preuve pour la bienfaisance publique ; elle semble, à grands frais, stériliser les champs que fécondait la bienfaisance privée. Prenons-y garde, au lieu de pousser les patrons et les capitalistes, les sociétés industrielles ou les chefs d’industrie, à remplir, plus largement, leur devoir social, l’immixtion arbitraire de l’État menace de les en dissuader ou de les en décourager. Il nous semble déjà, en France, voir des symptômes de ce découragement ; et, en vérité, cela est grand dommage.

Nous nous calomnions en effet nous-mêmes, quand nous répétons que, en pareille matière, l’initiative privée est demeurée stérile, et la liberté inerte. Non pas ; c’est, au contraire, un des domaines où notre fin de siècle, à tant d’égards si peu digne d’admiration, a le mieux mérité de la France et de l’humanité. Je n’en veux comme