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et, sous menace de mort, prêt à les percer de l’épée ou à les faire jeter à la mer, il les contraint d’accomplir toutes les cérémonies qui accompagnent la célébration de la messe. »

Fokke Abels trouvait des émules. « Moi, capitaine Egbert Wybrantsen, » écrivait aux religieux du cloître d’Hemmelum, près de Stavoren, le commandant d’un des vaisseaux des gueux, « je vous fais savoir que si vous ne m’avez pas, avant quatorze jours, envoyé la somme de six mille écus pour la rançon de votre supérieur, je le ferai pendre, ne dût-il plus rester abbé vivant au monde. » Les religieux s’exécutèrent. Ils firent bien, car le capitaine Wybrantsen aurait sans hésiter accompli sa menace.

Pendant ce temps la flotte de Boshuizen, faute d’argent pour acheter des munitions et des vivres, pour opérer de nouvelles levées de matelots, demeurait forcément inactive à Dokkum[1], et assistait dans une impuissance douloureuse aux exploits répétés des forbans. Albe, nous l’avons dit, ne recevait aucun secours d’Espagne. Les Maures de Grenade venaient de se soulever : l’attention de Philippe II se trouvait forcément détournée des Pays-Bas. Il ne lui arrivait d’ailleurs de ces provinces lointaines que des nouvelles rassurantes : Albe se croyait entièrement maître de l’insurrection ; il le répétait dans toutes les dépêches qu’il adressait de Bruxelles à son maître[2]. Ce n’étaient pas quelques pirateries qui pouvaient le troubler dans son triomphe. Ces désordres l’indignaient : ils ne l’alarmaient pas. Très peu de capitaines, même parmi les plus illustres, ont compris la puissance de la marine, le parti qu’on en peut tirer, le mal qu’on en doit craindre.

Les tempêtes de l’hiver et les glaces du Zuyderzée vinrent pourtant mettre un frein aux déprédations des gueux de mer : Boshuizen désarma sa flotte ; les bannis se replièrent vers l’embouchure de l’Ems. Le prince d’Orange s’était vu contraint de licencier son armée, et une foule de soldats sans ouvrage encombraient la ville d’Emden. Soutenus par les sympathies des habitans, ils y étaient en quelque sorte les maîtres. Les gueux n’avaient plus rien à craindre du bailli ; ils reparurent effrontément dans le port d’où on les avait chassés. Au printemps de l’année 1569, les côtes de la Hollande septentrionale reçurent de nouveau leur visite.

Orange avouait maintenant à la face de l’Europe ces compromettans auxiliaires. Il leur envoya, dans l’espoir de les modérer, ses meilleurs capitaines, des capitaines appartenant à la

  1. Dokkum est la ville la plus septentrionale de la Frise. Elle est située presque à la hauteur d’Ameland.
  2. Voyez la Revue du 1er novembre 1891.