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quelque chose, en un mot, comme la flottille qu’on voit, aux jours d’été, sortir chaque matin des jetées de Trouville. Les lieux, les balandres, les caravelles de Zélande, n’avaient pas encore pris place dans la flotte commissionnée par Orange. Lorsqu’en 1571 Blois de Treslong fera, au prix de 6,000 florins, l’acquisition d’un navire de 180 tonneaux, armé de seize pièces de fonte verte, les gueux de mer accueilleront ce renfort avec autant de joie et d’orgueil qu’en montreront soixante-sept ans plus tard les capitaines de l’archevêque de Sourdis, le jour où le vaisseau la Couronne, ce chef-d’œuvre de construction dont la charpente devait absorber toute une forêt de la duchesse de Rohan, rallia l’escadre du roi Louis XIII devant Guétarie[1]. Le bon combat, le combat de la liberté, fut soutenu, au début, dans les Pays-Bas, par des coques de noix et par des flibustiers, — je n’oserais pas dire par des voleurs de grand chemin.

Les vaisseaux de Robles approchaient rapidement. Au moment où l’action va s’engager, la tempête éclate. L’escadre espagnole, la flottille des rebelles, se trouvent du même coup dispersées. L’ouragan les mêle, les confond à leur insu. Un vaisseau espagnol rencontre à l’improviste deux navires qu’il ne tarde pas à reconnaître pour navires ennemis. Le vent s’est apaisé, la mer est redevenue plate. On peut de nouveau se battre. Confiant dans sa masse, l’Espagnol va droit aux gueux. Un des deux navires qu’il prétend attaquer ne portait pas de canons. Celui-là prend la fuite. L’autre avait à la fois à son bord deux canons et un certain nombre de mousquetaires. Il épargne à l’Espagnol la moitié du chemin. Rude combat où chacun des deux adversaires apporte la même énergie ! Le capitaine de Robles commence à regretter la rencontre. Il laisse entrevoir à son équipage l’intention de ne pas prolonger davantage la lutte. Voilà près de quatre heures qu’il échange sans profit des boulets. L’équipage se montra en cette occasion plus acharné que son capitaine. « À l’abordage ! à l’abordage ! crient de toutes parts les matelots, ou nous vous jetons à la mer ! — Vous le voulez, répond le commandant indigné ; vous le voulez ! levais donc accrocher ce vaisseau hollandais. Que le diable maintenant, si l’envie lui en prend, nous sépare ! » Les grappins sont jetés, les deux navires s’accostent et font corps. Je laisse à penser la furie avec laquelle ces haineux ennemis s’efforcent de se joindre ; une fois aux prises, cherchent à se terrasser. Les gueux de mer avaient pour capitaine un rude compagnon du nom de Spierings. Longtemps, très longtemps, Spierings tint les Espagnols en échec. Son vaisseau

  1. Voyez les Marins du XVe et du XVIe siècle, t. II ; Plon, Nourrit et Cie.