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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/404

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s’était chargé de la défense d’Ameland : il s’acquitta de son mandat jusqu’au martyre.

Pour nous, pour l’étranger, ces hauts faits sont des hauts faits inconnus, ces noms de héros sont des noms obscurs. Il n’est guère de Hollandais, en revanche, qui ne les connaissent. Les Hollandais sont un peuple sérieux ; nous les rencontrerons toujours profondément respectueux de leur histoire. Ils la lisent, si j’osais employer cette expression, à la loupe. J’admire trop un patriotisme que nous devrions bien imiter pour ne pas m’efforcer de ne point provoquer par quelque erreur involontaire ses critiques. La tâche m’a paru quelquefois, je l’avouerai sans honte, singulièrement laborieuse. Pouvais-je cependant me flatter de comprendre les Tromp et les Ruyter, sans avoir fait connaissance avec leurs ancêtres ? Il n’y a vraiment pas, suivant moi, d’histoire instructive et féconde, si l’on ne prend cette histoire à son origine, si l’on ne peut, en un mot, passer constamment sans lacune du connu à l’inconnu. Telle est la préoccupation qui m’a fait, sans que j’en eusse pour ainsi dire conscience, remonter insensiblement au déluge, qui me ramène, après le siège de La Rochelle[1], aux premières campagnes des gueux de mer et qui ne me permettra d’arriver à Duquesne et à Tourville qu’après avoir passé par les grands amiraux anglais et hollandais appelés à se disputer la suprématie navale dans la Manche de l’année 1652 à l’année 1672.

Aussitôt après la prise d’Ameland et de Ter-Schelling, le centre des opérations fut transporté par Robles, de Delfzijl sur l’Ems, à Harlingen sur la rive frisonne du Zuyderzée. En face d’Harlingen s’ouvrait, entre Ter-Schelling et Vlieland, la grande passe de la Vlie. Dans cette passe, les gueux continuaient de se tenir embusqués : Robles expédia contre eux cinq de ses plus gros vaisseaux.

Les gueux de mer, en ce moment, faisaient flèche de tout bois ; leurs plus gros vaisseaux venaient de La Rochelle, quelques-uns leur étaient fournis par les défections qui tendaient, grâce aux nouvelles exigences du duc d’Albe, à se multiplier. Un de ces vaisseaux transfuges, le vaisseau la Cloche, de 230 tonneaux, semblait un colosse au milieu de la flottille de Myrmidons qu’il était venu joindre. Avant l’arrivée de la Cloche, c’était un navire de 120 tonneaux qui tenait dans la flotte rebelle le premier rang. Le reste se composait de bâtimens marchands capturés, de flibots, de yachts, de kromstevens[2], tous navires de 40 à 60 tonneaux, de bateaux de pêche, d’esquifs plus chétifs et plus misérables encore, —

  1. Voyez l’ouvrage intitulé le Siège de la Rochelle ; Firmin-Didot. En vente au profit de la société de sauvetage des naufragés, 1, rue de Bourgogne, Paris.
  2. Kromsteven, vaisseau dont l’avant est bâti en croissant.