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dans leurs murs aucune troupe en armes, à quelque parti que cette troupe appartînt. Du même coup les deux projets avortaient. Il en fut de même d’une irruption lentement préparée sur Dordrecht. Un des gueux de mer les plus aventureux, Gisbert Jansz Coninck, pénétra dans la ville et y séjourna quelque temps, caché dans la maison qu’habitait son père. Son oncle, Pieter Jansen, s’associait avec ardeur au complot. Tout marchait à souhait, quand la terrible détresse financière fit encore une fois renoncer à l’entreprise. Le dessein cependant s’était ébruité le vieux Coninck paya la malencontreuse tentative de la vie. On l’arrêta et on l’envoya rendre compte de sa complicité au conseil des troubles. Le conseil, après un interrogatoire sommaire, le jugea digne du bûcher.

L’heure n’était pas venue il ne faut pas chercher d’autre explication à ces insuccès répétés. Les événemens sont comme les fruits qu’il faut laisser mûrir, pour qu’ils se détachent d’eux-mêmes de la branche. On secoue l’arbre en vain, quand le fruit est encore vert. Le ciel allait d’ailleurs apporter une courte trêve un disputes des hommes. La tempête effroyable du 1er novembre 1570 rompit les digues sur plusieurs points, confondant un instant dans une terreur commune les faiseurs de complots et les auteurs de répressions sans pitié. L’inondation du 9 novembre 1421, connue sous le nom d’inondation de la Sainte-Elisabeth n’avait guère été plus désastreuse que ce nouveau cataclysme, auquel fut assigné le nom d’inondation de la Toussaint . Près de 100,000 hommes furent, dit-on, engloutis dans toute l’étendue des Pays-Bas, 20,000 dans les deux Frises seulement. Comme en l’année 1173, le ciel vengeait les saints dont les rebelles avaient brisé les images. L’indignation des catholiques se sentit fortifiée par cette éclatante manifestation de la colère divine ; les réformés tremblèrent et suspendirent pour un instant leurs complots. Mais bientôt les rancunes, excitées par les violences du duc d’Albe, reprirent le dessus. Le duc, nous l’avons dit, ne se contentait plus de traîner ses victimes à Bruxelles il les faisait exécuter maintenant à La Haye, en pleine Hollande, jetant ainsi avec un dédain provocateur le défi aux populations qu’il savait le plus attachées à l’hérésie. Cette fois c’en était trop, un sourd bouillonnement se fit entendre. « Les derniers temps, annonçaient les chansonniers populaires, sont proches la prédiction de saint Jean se lèvera bientôt sanglante sur les chiens de Babylone. »

Chansonniers et pasteurs rivalisaient de zèle pour entretenir le peuple dans la haine du papisme et de l’Espagne ; des milliers de conjurés se transmettent mystérieusement le mot d’ordre de la