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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/431

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taille ; huit gouttes font périr un cheval en quatre minutes et dans un état effrayant. Il est pris d’un accès de fureur ; il se cabre, se débat, puis il tombe et meurt dans les convulsions. Lors du procès Bocarmé, Stras, qui fut chargé de l’expertise médico-légale, déposa, sur la langue d’un petit oiseau, une goutte du liquide trouvé dans l’estomac de la victime et le vit mourir au bout de 2'45". La même dose tua un pigeon en une minute. « Cet alcaloïde, dit Claude Bernard, est un des poisons les plus violens que l’on connaisse, quelques gouttes tombant sur la cornée d’un animal le tuent presque instantanément. La nicotine, par l’apparence symptomatique de ses effets et par son activité, se rapproche beaucoup de l’acide prussique[1]. »

L’action de ce principe est si subtile, qu’il est impossible de l’analyser, à moins de l’administrer à doses minimes et en solutions très étendues. On observe alors un phénomène des plus intéressans et qui explique la facilité avec laquelle on s’habitue à l’usage du tabac. C’est la tolérance rapide qui s’établit sous l’influence de doses graduellement croissantes. Elle a été constatée par Traube d’une manière positive. Avec un vingt-quatrième de goutte de nicotine, en injection sous-cutanée, il obtenait, le premier jour, des effets très marqués. Le lendemain, chez le même animal, il en fallait une goutte entière pour arriver au même résultat, et au bout de quatre jours cinq gouttes étaient nécessaires. On observe une tolérance analogue chez l’homme pour les injections hypodermiques de morphine, tandis qu’on ne s’habitue ni à la digitaline ni à la strychnine.

Quand on administre la nicotine à dose assez faible pour pouvoir en analyser les effets, on constate les mêmes phénomènes, à très peu de chose près, qu’avec la plante tout entière. Dans les empoisonnemens dont j’ai parlé plus haut, il survient au début une angoisse et une agitation extrêmes avec sensation de chaleur brûlante au creux de l’estomac. La respiration s’accélère pendant que le pouls se ralentit, puis viennent les vomissemens et les selles, les vertiges et les défaillances. La face pâlit, la peau se couvre d’une sueur froide, les idées se troublent, et le malade tombe dans une stupeur profonde, interrompue par des cris, par un tremblement général ou des convulsions. Cette agitation fait place à la paralysie, à l’insensibilité ; la respiration s’embarrasse, le pouls devient filiforme et le malade meurt dans une syncope.

Lorsque le sujet résiste (et c’est le cas le plus fréquent), les symptômes que je viens de retracer s’arrêtent dans leur évolution ;

  1. Cl. Bernard, Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Paris, 1857, p. 397.