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le malade sort de son état comateux avec une violente migraine, une grande faiblesse, et un embarras gastrique qui met quelque temps à se dissiper.

L’exposé qui précède paraîtra peut-être trop technique ; mais il était indispensable. Pour se rendre compte des effets que produit l’usage habituel du tabac, il faut connaître d’abord ceux qu’il détermine lorsqu’il est administré à dose toxique et en une fois. On apprécie beaucoup mieux les phénomènes à la faveur du grossissement expérimental, de même qu’on observe mieux les petits objets en les regardant à la loupe. L’expérimentation sur les animaux et les cas d’empoisonnement chez l’homme ont de plus l’avantage d’isoler nettement les accidens physiques des perturbations morales et intellectuelles qui ne peuvent pas se produire dans le premier cas et qui n’ont pas le temps de se manifester dans le second. On peut ainsi étudier séparément ces deux ordres de phénomènes, et c’est ce que je vais faire.

III.

Les effets produits par l’usage habituel du tabac diffèrent suivant la façon dont on le consomme. On ne les a guère observés que chez les fumeurs, parce que ce sont eux qui appellent l’attention en raison de leur nombre. Et puis leur habitude est ostensible, leur fumée se répand partout, elle incommode les autres, tandis que le priseur, plus discret, peut dissimuler sa tabatière et ne gêne, par son odeur, que les personnes qui s’en approchent de trop près. Quant aux chiqueurs, ils appartiennent à l’histoire.

J’en ai beaucoup connu dans ma jeunesse. C’était encore une habitude assez répandue dans la marine, et les occasions ne m’ont pas manqué d’étudier, comme médecin, les effets de cet horrible collutoire sur les dents et la bouche de ceux qui en faisaient usage ; mais je n’ai nulle envie de faire part aux autres de mes observations à cet endroit ; elles seraient sans charme comme sans intérêt.

Les priseurs qui débutent ont, comme les fumeurs, besoin d’un certain apprentissage. Ils commencent par éternuer à se briser les sinus frontaux ; puis la muqueuse des fosses nasales s’apprivoise ; elle se blase et se trouve même agréablement chatouillée par le piquant ammoniacal et le parfum nicotinique de cette poudre vireuse. À la longue, elle s’épaissit, et, chez les priseurs interpérans, elle ne perçoit plus que faiblement les odeurs. Elle devient même parfois le siège d’une inflammation chronique qui se propage à l’arrière-gorge et détermine une petite toux sèche et caractéristique. On parle même de priseurs qui ont vu survenir des dartres, des ulcérations, des polypes, d’autres sont devenus sourds ;