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d’angine de poitrine, surtout chez les personnes qui passaient leur vie dans une atmosphère saturée de tabac et chez celles qui ont le tort d’avaler la fumée de leur cigarette, et je n’en ai pas été surpris, parce qu’alors la fumée pénètre jusque dans les petites ramifications des bronches, où elle impressionne directement les filets nerveux les plus déliés des poumons et du cœur, et son action provoque les accès de suffocation qui constituent cette redoutable maladie.

Au début, ces troubles sont passagers. Tantôt, c’est une angoisse d’une seconde, une douleur fulgurante rapide comme l’éclair, mais si caractéristique que le médecin qui la ressent ne s’y trompe pas. Tantôt, c’est un petit accès caractérisé par la faiblesse du pouls qui devient presque insensible, par une sueur froide et l’imminence de la syncope. Le tout ne dure que quelques minutes. Dans d’autres cas, tous les symptômes de l’angine de poitrine se déclarent. Ils sont rarement mortels à la suite des premières attaques ; mais lorsque le malade ne renonce pas à son habitude, elles se rapprochent, deviennent plus graves et la mort survient pendant une d’entre elles. J’ai vu succomber ainsi quelques-uns de mes amis qui étaient restés incorrigibles, malgré les avertissemens de la maladie et les miens.

Les enfans et les femmes, plus impressionnables que les hommes, sont aussi plus sujets aux troubles de la circulation et n’ont pas besoin de faire abus du tabac pour les ressentir. Le docteur Decaisne a rapporté, à la Société de médecine publique, des observations qui le prouvent. Sur 88 enfans de neuf à quinze ans adonnés au tabac, 27 lui avaient présenté des palpitations, de l’intermittence du pouls ou de la chloro-anémie. Ils avaient de plus l’intelligence paresseuse et un goût prononcé pour les liqueurs fortes. Ce tableau est un peu chargé. Decaisne était un des adversaires les plus passionnés du tabac, et il faut quelque peu se défier de ses assertions.

Toutefois, il est certain que les accidens nicotiniques se produisent plus facilement chez les enfans que chez les grandes personnes. Ils succombent plus vite aussi dans une atmosphère saturée de fumée de tabac. Les docteurs Liébault et Desloges ont observé chacun un cas de mort, chez des jeunes gens de quinze et de dix-sept ans qui s’étaient endormis dans une petite chambre remplie de fumée de tabac. Ce sont encore là des faits bien exceptionnels. Que dire de ceux que le Medical-Record de New-York racontait récemment, de ces trois jeunes gens morts victimes de leur passion et dont l’un s’était pendu, parce que son père lui refusait de l’argent pour acheter du tabac ? C’était pousser un peu loin les choses ; mais tout est excessif en Amérique, même la crédulité pour les choses invraisemblables.