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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/459

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Telle qu’on l’a reconstituée pour ces années, sa vie est celle de tous les jeunes désœuvrés qui embellissent les cafés d’un chef-lieu.

Il est temps de le dépayser. Sa famille l’envoie passer en Italie l’hiver de 1811-1812. C’est l’hiver de Graziella. Que nous laisse-t-on de la « pêcheuse de corail, » qui était en réalité une petite cigarière de la manufacture de tabac ? Moins que rien ; un lambeau décoloré comme ce mouchoir de cotonnade rouge, donné par la pauvre fille, qui se fanait dans une armoire de Saint-Point, près de la table de travail. Le voyageur l’a remarquée un soir, à la sortie des ateliers ; son plus cher ami, Aymon de Virieu, est en bonne fortune avec lui :


Combien de fois la barque errante
Berça sur l’onde transparente
Deux couples par l’amour conduits…


« Une partie carrée, » disait M. Scherer, quand il faisait l’agréable. La Napolitaine inspire des vers dont la plupart serviront dans la suite pour une autre amante. En revanche, ceux qui devaient immortaliser le souvenir de cette enfant ont été composés beaucoup plus tard. Tristesse, — « Ramenez-moi, disais-je,.. » jaillit par hasard, au jardin du Luxembourg : « j’ignorais encore qu’elle fût morte de mon absence ; j’étais à Paris, dans la dissipation et le jeu… « L’adorable Premier regret ne remonta que dix-huit ans après, en 1830, dans l’église Saint-Roch, un dimanche que le poète avait accompagné Mme de Lamartine à vêpres.

Au moins a-t-on mieux respecté les voiles dont s’enveloppait pour nous la figure mystérieuse qui flottait sur le Lac ? — Hélas ! — Après des années de folies à Paris ou de pénitence en Bourgogne, après de vaines démarches pour obtenir un emploi diplomatique ou une sous-préfecture, Lamartine, la bourse vide et le corps malade, va prendre les eaux d’Aix en août 1816. Il y rencontre celle qui se nommait alors Mme Charles et qui devait s’appeler désormais Elvire. M. Charles, physicien célèbre en son temps, un peu oublié comme savant, plus célèbre aujourd’hui comme mari, M. Charles, bibliothécaire de l’Institut, où l’on conserve un beau portrait de cet aimable vieillard, avait retiré d’Écouen une pauvre orpheline pour l’épouser sur le coup de soixante-dix ans. Nous savions déjà par Raphaël comment se noua l’intimité des deux jeunes gens ; mais si brûlantes que fussent les confessions du roman, elles n’attestaient que l’intimité des âmes. Cela ne pouvait suffire aux fureteurs ; ils ont découvert les variantes du Lac, ils nous ont donné la strophe du baiser ; ils ont marqué les coïncidences entre les poésies