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l’inexactitude. » On le surprend en faute dès ses premiers vagissemens, puisqu’il a le tort de s’y complaire. Aucun membre de sa famille n’avait émigré, affirmait-il : on lui prouve qu’il y en eut deux sur la liste. Quand il raconte les entrevues furtives de son père et de sa mère à la prison de Mâcon, sous la Terreur, il ajoute : « Ma mère me nourrissait alors. » On lui prouve qu’il avait à cette date plus de trois ans. Pour chaque fait, pour chaque jour de sa vie, on pourrait continuer ce jeu facile de redressement ; il suffisait d’indiquer comment on le joue.

La radieuse enfance à Milly, on la réduit à ses justes proportions. Le jeune Alphonse reçut l’éducation et mena l’existence habituelle des hobereaux de province. A dix ans, l’enfant est « un bon gros garçon joufflu, l’air étonné, la bouche bée, le nez en l’air. » Écolier médiocre et difficile à gouverner, il s’échappe de l’institution Pupier ; on le met aux jésuites de Belley ; il s’y trouve mieux, les bons pères lui laissant toute liberté de rêver. Ici, je me reprocherais de ne pas enchâsser une perle que M. Reyssié nous fait connaître : c’est, dans un discours de distribution de prix prononcé récemment au lycée Lamartine, la réclame discrète où un professeur nous montre le poète dévoyé, parce qu’il fut élevé par les jésuites au lieu de l’être par l’université. — « c’est là en effet (à Belley), que le jeune Lamartine allait achever de s’imprégner tout entier de ce sensualisme pieux, sanctifié par le mysticisme, qui se retrouve plus tard dans ses rêveries poétiques comme dans les réalités de son existence. Assurément, une éducation plus virile et moins mystique, une direction plus ferme, sans être moins bienveillante, auraient maintenu, dans ce jeune homme, la suprématie de la raison sur l’exaltation de son imagination et fortifié son caractère sans effleurer même l’exquise sensibilité de son cœur. » Et voilà comment le Lac, revu par le professeur du lycée, aurait pu devenir un bon devoir.

Les études terminées, l’adolescent revient languir à Milly. — « Un fils de famille très gâté, — nous dit-on, — un peu sauvage et très rêveur, le jeune monsieur du château, ignorant, mais aimant les romans et les poètes, passionné pour les chevaux et les chiens, adorant les ravins et les bois, grand, vigoureux, alerte, très beau, faisant quelques vers, aimant la religion et rêvant un peu d’amour, voilà Lamartine à vingt ans... Un jeune chasseur, d’éducation et d’instinct religieux, ayant l’imagination épicurienne. » — L’oisiveté lui pèse, il se ronge, il voudrait prendre du service dans la garde pour aller à Paris, ou tout au moins faire son droit à Dijon, entrer au barreau. En attendant, il se dépense à Mâcon en frasques vulgaires, il joue, il fait des dettes ; et ses vers érotiques, imités de Parny, célèbrent les aventures faciles de la petite ville.