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équilibrée. Avec cette année qui finit, on n’est même pas bien sûr d’être resté dans une vraie et sérieuse légalité en prolongeant jusqu’en 1892 cette session extraordinaire qui n’était que le complément de la session de 1891 et qui, au premier aspect, aurait semblé devoir finir le 31 décembre. La question est au moins douteuse. Il le fallait, cependant, on l’a cru ainsi parce qu’on avait besoin de le croire. La loi douanière, poursuivant ses voyages du Palais-Bourbon au Luxembourg, du Luxembourg au Palais-Bourbon, se trouvait arrêtée par un dernier conflit entre les deux assemblées au sujet d’un droit sur les pétroles, — « l’éclairage du peuple, » comme on dit plaisamment. Le budget, de plus, n’était pas voté encore ; porté tardivement au Luxembourg, il semblait réveiller l’esprit d’indépendance et de contestation dans le sénat. Il fallait prendre un peu de temps, essayer de mettre ordre à ces différends et de détourner autant que possible la nécessité des douzièmes provisoires. Soit ! le conflit sur les pétroles a pu être tranché par un expédient, par une série de petites combinaisons qui ne font que déguiser ou ajourner la difficulté. Le budget est resté, — et on n’a pas échappé à un premier douzième provisoire. C’est tout ce qu’on a obtenu par cette prolongation peut-être irrégulière d’une session qui aurait dû finir à la dernière heure de décembre. Voilà les faits ! on ne peut pas dire que l’année ait commencé avec cette simplicité qui est la force des pouvoirs publics ; elle s’ouvre laborieusement, assez médiocrement, dans des conditions sans fixité, où tout est contradiction et incertitude. Ce n’est pas une crise, sans doute, il ne faut rien grossir, c’est un mélange de tout ce qui peut préparer ou ramener les crises par le désordre des idées et des faits.

À qui la faute ? Aux circonstances, dit-on, aux tiraillemens et aux lenteurs inévitables du travail parlementaire, aux résistances du sénat qui empêche tout, qui arrête au passage toutes les réformes, qui, par ses prétentions, est le perpétuel embarras de la république ! Les explications sont assez vaines. La vérité est que les circonstances n’ont jamais été plus paisibles, plus favorables pour une expédition régulière des affaires, que si on ne les expédie pas, s’il n’y a pas eu un budget pour la fin de l’année, ce n’est la faute ni du sénat, ni du régime parlementaire ; c’est la faute de ceux qui ne cessent de dénaturer et d’altérer ce régime en s’efforçant de le plier à leurs passions, à leurs caprices d’omnipotence. Au fond, c’est là le mal, qui ne date pas d’aujourd’hui, nous en convenons, mais qui ne cesse de s’aggraver, et dont les derniers incidens de parlement ne sont qu’une manifestation nouvelle. Le mal est justement que nous n’avons pas le régime parlementaire, que nous n’en avons qu’une vaine et trompeuse représentation. Le mal croissant et redoutable est dans une situation où tous les pouvoirs sont confondus et où aucun ne remplit son vrai rôle, ne reste dans sa vraie fonction. La constitution ne compte pas. Une