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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/547

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de si bien fermés que les souffles et les agitations du dehors n’y ont presque pas d’accès. Je ne sais vraiment s’il y a au monde un autre pays où la mer se mêle ainsi à la terre, où elle s’y insinue et y pénètre par autant de voies, où elle fasse, si l’on peut ainsi parler, autant de frais pour l’homme, autant d’avances à ses instincts de curiosité, de mouvement et de lucre. Dès qu’ils auraient les instrumens nécessaires pour creuser une pirogue dans un tronc d’arbre ou pour assembler solidement quelques planches, les habitans d’un tel pays ne pouvaient manquer de se familiariser avec la mer, d’apprendre à avoir confiance en elle et à lui demander les moyens de nouer des relations d’abord avec leurs plus proches voisins, puis ensuite avec des peuples plus éloignés, avec tous ceux chez qui conduiraient, comme disaient les poètes grecs, les « chemins liquides. » Quand les Grecs font, avec l’épopée, leur première apparition dans l’histoire, ce sont déjà de hardis marins, pour qui la traversée de l’Archipel n’est qu’un jeu, et dont quelques-uns ont même poussé jusqu’aux rives lointaines de l’Egypte et de la Sicile. La race grecque a, depuis lors, passé par bien des fortunes ; mais, dans les siècles mêmes où elle était le plus misérable, elle n’a jamais rompu son pacte avec la mer. On sait quel rôle la marine grecque joue aujourd’hui dans l’ensemble du commerce de la Méditerranée.

Ce qui devait disposer les Grecs à écouter encore plus docilement l’appel de la mer, de cette mer qui, pour les rassurer et pour mieux les séduire, semblait se faire plus douce et baisser la voix en se glissant, parmi les îles et les promontoires, jusque dans le cœur de l’Hellade, c’était la configuration très particulière de ce sol, plus accidenté, plus tourmenté que celui des autres péninsules de l’Europe méridionale. Appeler la Grèce un pays de montagnes, ce n’est pas assez dire. La Grèce n’est tout entière qu’une montagne, dont les divers sommets ont chacun leur nom, une montagne énorme et d’une construction très compliquée, qui par endroits se dilate et s’épanouit en chaînes parallèles ou divergentes, tandis qu’ailleurs elle se contracte en une unique et épaisse muraille. Des ravins sans nombre en sillonnent et en modèlent les flancs ; des brèches profondes, aux parois souvent très abruptes, en séparent les principaux massifs, d’où rayonnent en tous sens de puissans contreforts, qui vont se terminer à la mer en éperons aigus et escarpés. Point de hauts et spacieux plateaux, comme le sont ceux du centre de l’Espagne ; pas une large vallée que l’on puisse comparer à cette vallée du Pô qui forme presque à elle seule l’Italie septentrionale. La Thessalie seule a des plaines de quelque étendue. Partout ailleurs, ce que l’on appelle ainsi n’est qu’un espace assez étroit, que serrent de près les monts d’alentour et où ils se