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prolongent, soit par des collines d’une saillie très marquée, soit en longues et confuses ondulations ; telles sont les plaines de la Béotie et de l’Attique, celle d’Argos et celle de Sparte. Là où il faut ainsi toujours monter et descendre pour remonter encore, où, dès qu’il veut faire quelques pas, l’homme rencontre l’obstacle sur son chemin, les communications, par la voie de terre, ne sont pas aisées. Quel avantage alors et quel soulagement que d’avoir la mer sous la main, la mer qui, pour peu que vous sachiez vous en servir, par la voile et par l’aviron, vous conduit partout où il vous plaît d’aller ! Aussi, pour profiter de cette ressource, les différentes tribus dont l’ensemble a constitué la nation grecque ont-elles été naturellement amenées à se grouper et à s’établir de telle manière que chacune d’elles eût au moins une porte ouverte sur la mer, et cette porte, elle l’a fortifiée, elle en a aménagé les abords avec un soin jaloux ; des remparts l’ont défendue ; des longs murs, comme on disait, l’ont reliée à la ville située plus ou moins loin dans l’intérieur. On sentait que, si celle-ci était coupée de la mer, elle ne respirerait plus, elle mourrait comme d’une sorte d’asphyxie.

Il n’y a guère qu’un peuple grec, les Arcadiens, qui, fixé dans le milieu même du Péloponèse, s’est trouvé pour toujours séparé de la mer. Toute son existence s’en est ressentie ; il a moins vécu de la vie de l’esprit ; il n’a pris qu’une très faible part au progrès des lettres et des arts ; on le traitait d’arriéré. Pour qu’il ait fini par suivre, même de loin, le mouvement de la civilisation, il a fallu que ses fils courussent le monde comme soldats mercenaires et aussi que l’Arcadie fût tout enveloppée par des États qui avaient, eux, le bénéfice du voisinage de la mer. Sans la mer, sans les débouchés qu’elle offrait, les peuplades aryennes qui ont occupé la péninsule hellénique seraient peut-être toujours demeurées dans un état de barbarie et d’anarchie grossière analogue à celui où se débattent et s’usent encore de nos jours ces Albanais que l’on considère comme les proches parens des Grecs. S’il est une contrée dont la population semblait vouée à ce morcellement presque indéfini où domine ce que l’on appelle le clan, c’était bien la Grèce. Elle est faite comme d’une suite de compartimens qui se touchent par leur fond ; pour en sortir, il faut, ici, gravir, à contre-mont, des pentes raides, là, peiner dans les détours de cluses étroites et sinueuses, où les torrens, après les orages, ferment souvent la voie ; il faut franchir des cols dont quelques-uns sont obstrués par les neiges pendant une partie de l’hiver. Chaque groupe local paraît destiné à vivre dans un isolement perpétuel ; il est comme le prisonnier de la vallée où il s’est établi et a pris racine. Là où l’homme se trouve placé dans de telles conditions, il n’y a pas lieu de s’attendre à un développement national vraiment large et