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romaine ; l’unité politique et administrative n’a commencé pour elle que dans la servitude, avec Mummius, quand elle n’a plus été que l’une des provinces de l’empire latin. « La Grèce est née divisée, » a dit Joseph de Maistre. Jusqu’à la prise de Corinthe, elle avait toujours été partagée en un certain nombre de cantons qui, ayant leurs frontières tracées par la nature, étaient autant d’États indépendans. Les plus peuplés, les plus riches, les plus énergiques de ces États avaient essayé de se subordonner leurs voisins ; ils y avaient réussi pour un temps ; mais toute leur ambition avait été de se placer à la tête de ligues plus ou moins puissantes, et le dernier terme de cet effort avait été la fondation trop tardive de ce gouvernement fédératif que les Achéens tentèrent d’organiser, sur le pied d’une représentation égale de tous les intérêts et de tous les droits particuliers. L’histoire de la Suisse présente des phénomènes tout semblables ; mais la différence est dans la mer, qui manque à la Suisse. La Grèce est plus petite que le Portugal ; mais ses rivages, par leurs contournemens et leurs replis, décrivent une ligne qui, avec ses brisures, est sensiblement plus longue que celle qui représenterait le développement de tout le littoral espagnol. Cette omniprésence de la mer est une des raisons par lesquelles s’explique la supériorité du rôle que la Grèce a joué dans le monde, rôle qui a eu une autre importance et un autre caractère que celui de la Suisse. Les habitans des cantons de la Grèce se rencontraient bien plus souvent, ils s’abouchaient et se concertaient bien plus aisément que ne pouvaient le faire les habitans des cantons helvétiques, avant que l’industrie moderne ait suspendu sur les abîmes des routes carrossables et percé le flanc des montagnes. Autrefois, comme vous le racontent encore, dans les chalets de la Savoie et de la Suisse, les vieillards qui ont vu d’autres temps, plus d’un mourait, chargé d’années, sans avoir jamais franchi le rempart de rocs et de glaciers qui limitait l’horizon sur lequel s’étaient ouverts ses yeux d’enfant. La Grèce, tant qu’elle a été libre, n’a point eu de routes qui méritassent ce nom. Les premières voies charretières qui aient traversé ses défilés, ceux par exemple de l’isthme au-delà de Mégare, elle les a dus à ses maîtres latins, qui en avaient trop pris l’habitude pour admettre qu’un peuple civilisé pût s’en passer. Les Grecs, pour leur part, n’en avaient jamais, jusqu’alors, senti le besoin. Pour aller du Pirée à Corinthe, il leur paraissait plus simple et plus commode de sauter dans une barque et de tendre leur voile au vent que de s’essouffler et de fatiguer leurs chevaux à escalader la montagne et à côtoyer les précipices. En dehors des plaines, qui n’occupent qu’une bien faible partie du territoire, les chemins les meilleurs et les plus fréquentés n’étaient que des chemins de mulet, pareils à