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arrêtait tous les bruits et qui interceptait la vue ; il a, pendant bien des siècles, dérobé la Grèce à l’oreille et aux yeux des peuples qui s’agitaient et qui défilaient par-delà les monts dans la vallée du Danube. Cachée derrière ce rideau, la Grèce a pu fournir sa brillante carrière et développer sa richesse sans attirer l’attention, sans éveiller les curiosités et les convoitises des Celtes et autres barbares.

C’est plus au sud que se dresse le front septentrional de l’enceinte fortifiée à l’abri de laquelle s’étaient placées les tribus grecques et qui les a si longtemps aidées à repousser toutes les attaques ; il est formé par les montagnes qui enveloppent la Thessalie et dont les ramifications s’étendent sur toute la surface de l’Épire et de la Grèce occidentale. La principale des portes percées dans ce mur est la vallée de Tempe, que flanquent deux énormes bastions, l’Olympe et I’Ossa. C’est de l’Olympe, dont le pied est baigné par la mer, que se détache la muraille des monts Cambuniens ; elle se prolonge, comme une haute courtine, vers le sud-ouest, et va s’appuyer, par son autre extrémité, sur le puissant massif du Pinde. A-t-on forcé l’un des rares et difficiles passages qui s’ouvrent sur quelques points de ce camp retranché, on est en Thessalie ; mais si l’on veut en sortir pour s’avancer plus loin vers le sud, il faut franchir la barrière de l’Othrys. Au-delà, de celle-ci, au détour du golfe de Lamia, nouvel arrêt : c’est l’Œta qui, dans l’antiquité, ne laissait entre ses pentes abruptes et la mer que l’étroit défilé connu sous le nom de Thermopyles. Quand on l’avait forcé ou tourné, on était maître des plaines de la Béotie ; mais, pour descendre dans celles d’Éleusis et d’Athènes, on devait traverser les gorges du Cithéron et du Parnès. Une fois établi dans l’Attique, l’envahisseur n’avait pas partie gagnée ; il se trouvait en présence des âpres monts de l’isthme, redoutes formidables qui défendaient les abords du Péloponèse, la citadelle ou, comme disaient les anciens, « l’Acropole de la Grèce. » Cette citadelle même avait, si l’on peut ainsi parler, ses cloisons étanches. De Corinthe pour arriver jusqu’à Sparte, il y avait encore, quelque chemin que l’on prît, à surmonter l’obstacle de deux chaînes considérables, toute une suite de ravins et de cols à passer sous les yeux et sous les traits de l’ennemi.

Supposons un vainqueur qui, de succès en succès, a réussi à pénétrer jusqu’au cœur de la place, jusqu’au fond de ce dernier réduit ; le moindre accident suffira pour que, du jour au lendemain, son triomphe se tourne en désastre. Toutes ces portes qu’il a poussées du pied et cru laisser ouvertes peuvent se refermer brusquement sur lui ; les battans retomberont, et les mains qui y