en tous sens ; point d’issue apparente pour ce qu’y répandent la pluie et la fonte des neiges. Il se serait créé, en ces endroits, de grands lacs profonds, si les eaux ne s’étaient ouvert des voies souterraines par où elles se déversent, soit dans les basses vallées, soit dans la mer même. Ces gouffres, c’est ce que l’on nomme maintenant en Grèce les ϰατάϐοθρα (katabothra). Suivant qu’ils s’ouvrent au plus creux de la cuvette ou dans l’élévation de sa paroi, la plaine peut être cultivée tout entière ou bien le fond de la dépression est rempli par un lac, dont le niveau moyen se détermine d’après la hauteur à laquelle s’ouvre cette bouche d’égout. On n’aurait rien à craindre si le débit de ce trop-plein était régulier ; mais il arrive souvent que des branchages et des roseaux coupés viennent s’amonceler à l’entrée de ces conduits et les obstruent plus ou moins complètement ; l’eau ne passe plus ou elle passe mal ; on la voit grossir rapidement. Dès que l’accident est signalé, les gens du voisinage se précipitent vers l’émissaire. J’ai vu, en Crète, des montagnards sfakiotes qui, plongés dans l’eau jusqu’au cou, travaillaient avec des crocs à dégager l’orifice d’un de ces canaux, à le débarrasser des ramilles et des paquets de feuilles qui gênaient le courant. Parfois cependant tous les efforts sont vains ; c’est un tronc d’arbre, c’est une grosse pierre qui a pénétré dans l’aqueduc. Alors, pendant toute une saison, quelquefois pendant plusieurs années, les eaux montent, montent lentement ; on ne sait où elles s’arrêteraient si, un beau jour, sous leur pression de plus en plus forte, l’obstacle n’était soudain balayé. Aussitôt la nappe liquide commence abaisser, et, de matin en matin, on voit reparaître un des champs qu’elle avait noyés. Alors ce sont d’autres soins qui s’imposent. Il faut d’abord reconnaître les limites des héritages. On se consulte ; on fait appel à des souvenirs qui ne sont pas toujours très précis et que chacun des intéressés essaie de tourner à son profit ; on cherche les bornes ensevelies sous le limon et le gravier. Lorsque, non sans mainte querelle, on a fini par se mettre à peu près d’accord, il faut nettoyer le sol, enlever la boue et les pierres qui l’encombrent, creuser des fossés qui facilitent le prompt assèchement de ce terrain détrempé. Quand je visitai le bourg de Phonia, en Arcadie, j’en trouvai tous les habitans occupés à cette besogne. Le lac avait eu une période de crue qui durait depuis près de vingt ans ; mais, huit jours avant notre arrivée, l’émissaire s’était débouché subitement ; la source du Ladon s’était changée en un flot impétueux, tandis que le lac décroissait à vue d’œil. Pendant que l’on nous racontait ce qu’avait ainsi perdu le village, les vieillards, entourés d’un groupe nombreux et bruyant, allaient par la longue zone de fange où chacun cherchait son bien ;
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