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mises à part, une sorte de surenchère générale de tarifs. Le gouvernement français pouvait croire qu’il suivait le mouvement, ce qui a toujours été très agréable à certains de ses membres. Le parlement en était encore plus convaincu. Aussi aggravait-il toutes les propositions du ministère. Pendant que les politiciens français, gens à courte vue, se complaisaient dans l’idée que le système jouissait de l’agrément et du consentement universel, les hommes perspicaces et impartiaux, cependant, pouvaient discerner à l’horizon les signes certains d’un revirement qui allait se produire dans le monde entier.


III

Les projets de constitution de grands groupes douaniers, soit en Amérique, soit en Europe, ne datent pas d’hier. Ils ont été élaborés à l’air libre depuis deux ou trois ans. Il faut toute l’étonnante faculté d’inattention de nos hommes d’État pour ne s’en être pas avisés. Dès le 7 juillet 1884, le congrès fédéral de Washington nommait une commission composée de trois membres et d’un secrétaire pour se rendre auprès des divers gouvernemens du continent américain, et s’entendre avec eux sur l’établissement d’un régime économique en quelque sorte commun ou, sinon absolument uniforme, du moins en grande partie analogue.

Cette commission commença par se livrer à un travail préparatoire, et recueillit des données statistiques. Il en résultait que les États-Unis importent de l’Amérique du Sud plus du double de ce qu’ils lui fournissent, et que ce qu’ils lui fournissent ne représente pas le dixième de l’importation totale de l’Amérique du Sud.

Après ces constatations sur l’ampleur du domaine à conquérir, les commissaires américains se mirent en route et visitèrent, dans le premier semestre de 1885, le Venezuela, Costa-Rica, Guatemala, l’Equateur, le Pérou, le Chili, l’Uruguay. Le Brésil, dont les institutions alors les attiraient moins, fut laissé de côté, et cependant c’est le premier pays avec lequel cinq années plus tard une convention douanière devait être signée par le gouvernement de la Maison-Blanche. Revenus à Washington, les commissaires firent au président des États-Unis un rapport constatant que toutes ces puissances, sauf le Chili, dont l’allure a toujours été plus indépendante, avaient adhéré à un projet de congrès[1].

  1. On nous permettra de renvoyer à notre article publié dans l’Économiste français du 25 mai 1889 sous ce titre : « Un Zollverein américain. » On voit que ce qui se passe aujourd’hui en Amérique et en Europe n’est pas une surprise pour les gens attentifs.