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LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


possessions anglaises ; mais, dans celle-ci, le mode de recrutement a été organisé avec un luxe de précautions et fournit des sujets d’un mérite qui défie toute comparaison.

C’est une chose vraiment instructive et bien faite pour déconcerter certains théoriciens, que les Anglais se montrent si exigeans sur la qualité de ces fonctionnaires. À l’heure actuelle, nous avons encore en France des publicistes et peut-être même des hommes d’État qui n’assignent à une bonne sélection des fonctionnaires qu’une très minime importance. Ils estiment que dans les colonies les colons sont tout. « Ayez de bons colons, disent-ils, vous aurez de bonnes colonies. Si vos colons ne valent rien, ce ne sont pas les plumitifs, avec leur paperasserie et leur réglementation, qui pourront les suppléer. » Et cette boutade a sans doute convaincu bien des gouvernemens, puisque depuis si longtemps la France envoie dans ses colonies des fonctionnaires si médiocres. Je la tiens, quant à moi, pour absolument erronée. J’observe que nos colonies sont très pauvres en bons colons, et de cette pauvreté je crois voir deux causes : la première, c’est qu’à part certains esprits aventureux, les Français n’aiment pas à s’expatrier, et que seuls s’y décident les moins heureux d’entre nous et les moins capables de se faire une place dans la métropole ; la seconde est que ceux-là mêmes qui émigrent, la réputation de notre administration coloniale les éloigne de nos colonies. Et cette opinion, les chiffres la confirment. Depuis trois ou quatre ans, nous voyons chaque année vingt-cinq ou trente mille Français quitter leur pays : combien d’entre eux se rendent dans nos colonies ? À peine quelques centaines. Le reste s’en va dans l’Amérique espagnole, aux États-Unis, au Canada, etc. Je sais les raisons de fait par lesquelles on tente d’expliquer cette répartition de l’émigration : elles ne suffisent pas à justifier la modicité du contingent de nos colonies. Il faut y ajouter encore celle-ci : la crainte de retrouver dans ces colonies le système rigide et gênant de l’administration française et son personnel trop souvent sans souplesse ni bonne volonté.

Les Anglais ont compris et résolu ce problème autrement que nous. Ils ont des colons de choix, sur qui, certes, ils pourraient se reposer de l’avenir de leurs colonies. Et toutefois, à côté de ces colons excellens, ils n’ont pas laissé de mettre d’excellens fonctionnaires. Ils savent que, dans ces régions, nécessairement les administrés ont plus de besoins en même temps que les lois ont moins de précision ; partant, que le fonctionnaire a plus de devoirs et plus d’autorité, et que, pour suffire à ces devoirs, pour n’abuser pas de cette autorité, il lui faut l’intelligence la plus déliée et le caractère le plus intègre. Ils savent en outre que, dans ces colonies d’exploitation, dont l’Inde est le type, les colons ne sont qu’une