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portion, la moins considérable, de la population, qu’un élément, pas toujours le plus influent, de la prospérité ; qu’à côté d’eux se pressent, plus nombreux, les indigènes d’un maniement autrement délicat : pour ces raisons, ils pensent ne pouvoir entourer de trop de précautions le recrutement de leurs fonctionnaires de l’Inde.

Ce principe en soi est déjà bien intéressant ; l’application l’est davantage encore.

Pour recruter les fonctionnaires, les gouvernemens ont à leur disposition deux méthodes. L’une est la méthode des examens : les candidats sont invités à démontrer leurs talens, et, sauf de très rares exceptions, choisis dans l’ordre que le concours a déterminé. L’autre est la méthode du libre choix par les autorités compétentes. Toutes deux ont leurs avantages. Si les autorités compétentes devaient toujours leur compétence à leurs connaissances en même temps qu’à leurs fonctions, assurément les fonctionnaires qu’elles choisiraient librement seraient très supérieurs à ceux que désigne le concours. Elles ne seraient, en effet, arrêtées dans leurs choix par aucun des obstacles que le concours rencontre ou élève. Elles pourraient appeler à elles les hommes qui ont dépassé la limite d’âge ou encore ceux qui ont tardivement révélé leur mérite dans d’autres carrières ; surtout, elles pourraient tenir compte non-seulement du savoir technique, mais aussi de qualités intellectuelles ou morales ou d’aptitudes physiques dont les épreuves instituées ne peuvent que difficilement attester la présence chez les candidats. Malheureusement, le régime parlementaire ou représentatif, qui aujourd’hui fonctionne dans le monde presque entier, ne permet pas de garantir que les autorités, compétentes de par la constitution, le seraient aussi de par leur mérite. À cause de cela, les concours, malgré tous leurs inconvéniens, sont encore préférables au libre choix ou, pour l’appeler de son véritable nom, à la faveur.

À vrai dire, aucun gouvernement ne s’est avisé d’employer exclusivement une seule des deux méthodes de sélection. Tous ils usent de l’une et de l’autre conjointement, et ne diffèrent entre eux que par le dosage respectif des procédés. Celui-ci recourt davantage au concours, celui-là davantage à la faveur.

Chez nous, en cette matière, nous rencontrons un phénomène bien curieux. La plupart de nos hauts fonctionnaires ne sont nommés qu’après avoir fourni des garanties multiples de leur capacité. Certaines de nos administrations, les plus considérables d’entre elles, recrutent leurs meilleurs agens à peu près exclusivement par voie de concours. C’est ainsi que l’administration des travaux publics, celle de l’enseignement, celle des finances exigent que leurs ingénieurs, leurs professeurs, leurs inspecteurs aient, par des