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beau pays du monde. Surtout on y est naturel ; on s’y livre à la sensation présente, et l’on y parle avec abandon de sa sensation présente, sans le moindre souci d’être ridicule ou d’ennuyer. C’est le pays de la candeur. Stendhal ne tarit pas sur ce point, et, lui aussi, épanche ses sensations et ses sentimens en cette affaire avec un abandon tout italien.

Ce tableau des mœurs italiennes, avec une foule de détails et d’anecdotes qui ne sont pas ennuyeux du tout, est bien fantaisiste. D’abord, malgré la loyauté de l’auteur, que je ne cesserai pas de reconnaître et de louer, on y sent trop que c’est un panégyrique à contre-coup, comme sont la plupart des panégyriques, un éloge de l’un à tendances satiriques contre l’autre, un hommage à l’Italie destiné moins à faire plaisir aux Italiens qu’à désobliger les Français. « On aime toujours quelqu’un contre quelqu’un, » disait Ber-sot. C’est la Germanie de Tacite, et l’Allemagne de Mme de Staël, et la Lutèce d’Henri Heine. La chose est naturelle : comme a dit Stendhal lui-même, « le philosophe qui a le malheur de connaître les hommes méprise toujours davantage le pays où il a appris à les connaître ; » mais cela ôte toujours un peu d’autorité à certains éloges. — Ensuite, sans insister sur les amours-passions et les crimes d’amour, auxquels Stendhal attribue vraiment une trop large part dans ses préoccupations complaisantes, et qui sont, à très peu près, comme toutes les folies humaines, en égal nombre chez tous les peuples de civilisation analogue, pour ce qui est de la sincérité, de la candeur et du naturel, il y aurait bien à dire. Il est assez curieux que Stendhal n’ait trouvé de candeur vraie que chez le peuple qui a produit les plus grands diplomates de l’Europe. Il est à remarquer que, quand Stendhal écrit un roman italien, ces charmans ingénus deviennent tous d’effrontés menteurs et trompeurs, à l’exception, si l’on veut, de Fabrice, qui est fils de Français. Je crois voir dans cette idée de la candeur italienne, qu’il faut bien prendre au sérieux puisque Stendhal a écrit trois ou quatre volumes où il n’est guère parlé que de cela, quelque chose comme une généralisation précipitée et trop étendue. Ce que Stendhal a remarqué, et il en donne un millier d’exemples, c’est l’abandon avec lequel les Italiens et les Italiennes parlent (ou parlaient) de leurs faiblesses amoureuses. Il y a là, aux yeux d’un Français, une certaine impudeur, une ombre de grossièreté que Stendhal a notée, dont il s’est empressé, dans le cynisme moitié vrai, moitié affecté où il a coutume, de faire une haute vertu, pour l’opposer au cant anglais ou à la bégueulerie française, et qu’enfin il a considérée comme la marque de tout un caractère national essentiellement ouvert, naïf et naturel. Rien ne trompe, d’abord, comme de