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commencer, quelque chose d’analogue à l’évêché de Parme pour continuer, jusqu’à ce que nous nous fassions une « chartreuse » dans la solitude et le silence, pour finir.

La Chartreuse de Parme, beaucoup moins forte et profonde que Rouge et Noir, est donc encore une œuvre distinguée par endroits. Elle a cette admirable bataille de Waterloo, devenue classique comme récit vrai, comme donnant aussi fortement que l’Enlèvement de la redoute la sensation de la chose vue ; elle a sa « cour de Parme, » si vivante, si animée, si en relief ; elle a ce dénoûment d’une forte et sobre et vraie mélancolie. — Il est fâcheux, et ici je ne donne que mon impression, et pour ce qu’elle vaut, que la moitié en soit illisible. Toutes les aventures de Fabrice après le meurtre du comédien, et ensuite tout le séjour de Fabrice à la citadelle sont pour moi d’un ennui mortel. C’est l’absence d’invention la mieux caractérisée et la monotonie la plus cruelle. Personne n’a moins eu le génie épique que Stendhal. De petits faits significatifs d’un état d’esprit, des détails de mœurs, des analyses psychologiques : voilà son domaine. Sorti de là, il est au-dessous de n’importe qui.


VII

Stendhal a été peu estimé en son temps. Le grand public l’a ignoré. Les lettrés, et parmi eux ses amis même, ne l’ont pas pris au sérieux. Sainte-Beuve, assez mauvais juge, du reste, pour une foule de raisons, quand il s’agissait de ses contemporains, le trouve amusant en son rôle de faiseur de boutades, et détestable comme romancier. Cela s’explique assez aisément : pour tout ce qui n’est pas le Rouge et le Noir, mon avis est qu’il a à peu près raison ; et pour le Rouge et le Noir, il faut songer que Sainte-Beuve avait fait le sien. Il avait dans Volupté tracé le portrait du jeune homme de 1830 tel qu’il croyait le connaître ; et ce portrait est si différent de celui qu’a fait Stendhal qu’il n’est pas étonnant que Sainte-Beuve n’ait rien compris à Julien Sorel ou l’ait trouvé faux. Balzac a poussé un cri d’admiration à l’apparition de la Chartreuse de Parme ; mais à lire l’éloge même qu’il en fait, on s’aperçoit qu’il semble même ne pas connaître le Rouge et le Noir. Il parle des précédentes œuvres de Stendhal comme « de vingt volumes extrêmement spirituels. » Mérimée, ami personnel de Stendhal, lui a consacré une petite étude que quelques-uns ont prise, si je ne me trompe, pour un éloge, et où Mérimée, avec des adresses cruelles d’ironie serpentine, nous représente, en somme, son ancien ami comme un sot un peu grotesque. — Ce n’est que vers 1850