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forme d’un acte signé par les ministres coloniaux. Bien entendu, vu l’urgence, le gouvernement impérial de Sa Majesté devra ignorer les ordres du gouvernement colonial de Sa Majesté. Mais après, quoi ? Il faut bien que la colonie fasse respecter sa décision. Et comment ? On n’arrête pas des troupes avec une feuille de papier ! Pour que des soldats ne passent point, besoin est d’employer des soldats. En d’autres termes, et pour trancher le mot, les carabines coloniales se trouveront en face des carabines impériales. Pour dire les choses encore plus simplement, la guerre civile éclatera aussitôt. Espérons que le Zuid-Afrikaan ignorait parfaitement où mène le chemin qu’il foule si aveuglément. »

Pratiquement, tout se ramenait à ceci : un chemin de fer stratégique, désiré par l’Angleterre, était repoussé par le Cap. Ou plutôt, rien ne semblait moins facile que de construire une voie ferrée en plein Betchouanaland, en territoire impérial, si la colonie n’accordait pas les facilités voulues sur son propre réseau et se refusait au raccordement des lignes. Or elle paraissait intraitable sur ce point. La jonction à faire n’était que de 50 kilomètres, de Kimberley au fleuve Vaal. On se décida pour une route carrossable, mais défense de poser des rails ! Les locomotives passeraient comme elles pourraient. Quelqu’un suggéra l’idée d’acheter les terrains intermédiaires et d’y faire courir un chemin de fer d’intérêt privé. Le gouvernement colonial laissa entendre qu’à ses yeux un particulier n’a pas le droit de s’offrir des voies ferrées sans autorisation. Donc, l’associé criait sur tous les tons : « Halte ! on ne passe pas. « Il barricaderait sa porte contre les troupes, il ne voulait pas du chemin de fer. Le gouvernement anglais fut habile et conciliant, tout s’arrangea.


V. — L’ETAT DE DEFENSE.

Au lendemain de la guerre franco-prussienne parut en Angleterre un piquant opuscule, dont le succès fut des plus vifs : la Bataille de Dorking. C’était le roman prophétique ou la prophétie romanesque d’une invasion allemande au foyer même de la race anglo-saxonne, en pleines campagnes des comtés de Kent, de Sussex et de Surrey. Par quel miracle les Allemands, dans cette entreprise renouvelée des projets de Napoléon au camp de Boulogne, avaient-ils réussi à déjouer la vigilance des croisières anglaises ? Peu importe. Ils avaient abordé aux mêmes rives que Guillaume le Conquérant, marché sur Londres, écrasé