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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/671

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dominaient de temps en temps le grondement des canons ; les flèches tombaient dru comme grêle, des lances craquaient froissées contre d’autres lances, un yatagan se croisait contre une autre lame menaçante et recourbée. Souvent, les adversaires en venaient aux mains, s’empoignant à bras-le-corps, on voyait même les chevaux se mordre mutuellement dans la fureur du combat. Par ici, une tête tranchée fendait sinistrement l’air et le cheval s’emballait emportant le torse décapité au milieu du brouillard ; par là, un soldat, cloué par une lance au sol, agitait désespérément les mains et les pieds.

Tout à coup, un hurrah sauvage retentit sur les flancs et les derrières de l’armée polonaise ; une horde de Tartares sortit ventre à terre du rideau de la forêt et se jeta entre les Polonais et le fleuve. Le général ne reconnut le danger que lorsqu’il était trop tard. De partout s’élevait déjà le cri de : « Trahison ! trahison ! » et chacun de tourner dos pour s’enfuir en tâchant de gagner le fleuve, le pont.

Avant de livrer bataille, au sein du conseil de guerre, le staroste Tarnowski avait proposé de n’attaquer les Turcs que quand ils auraient traversé le fleuve. Le sort que les Polonais avaient réservé aux ennemis devenait leur partage par un retour soudain de la fortune.

Affolé de ce brusque revers, mais ne perdant point son courage, l’intrépide chef de la cavalerie s’efforçait de retenir ses cavaliers débandés. Il se jeta au-devant des fuyards, les arrêtant par ses gestes et ses cris, et réussit enfin à rallier quelques centaines de cavaliers avec lesquels il fondit sur les Tartares.

Ce fut en vain. Les pièces d’artillerie des Polonais étaient déjà prises, et tout à coup, derrière l’armée vaincue, s’alluma un feu immense.

Les palefreniers venaient d’incendier le pont. À cette vue, les plus braves renoncèrent à poursuivre la lutte, chacun ne pensant qu’à se sauver, et ceux mêmes qui tombaient aux mains des ennemis se laissaient massacrer sans résistance.

Le général avait péri dans la mêlée, et bientôt sa peau tendue et desséchée résonnerait sur un tambour offert en trophée au sultan.

Des milliers d’hommes étaient massacrés et foulés par les sabots des chevaux, des milliers de soldats, faits prisonniers, se voyaient attachés à la queue des coursiers et emmenés en esclavage. De ceux qui parvinrent à gagner le fleuve, la plupart se noyèrent : quelques-uns, une poignée, pour la plupart composée de Cosaques, passèrent à la nage grâce à la vigueur des montures, et se trouvèrent provisoirement hors d’atteinte.

Deux coups de lance avaient blessé le staroste Tarnowski. En cet instant, une balle vint encore le frapper, et il s’abattit sur la selle,