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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/673

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— As-tu compris ?

Le Cosaque fit un signe de tête affirmatif.

— Tu exécuteras mes ordres ? Godomine hocha la tête pour la seconde fois.

— Jure-le-moi !

Le Cosaque leva la main et prêta le serment demandé.

— Bien. Maintenant, je peux mourir en paix et toi… pars, et que Dieu te garde !

Le staroste retomba en arrière, et de ses lèvres s’échappa une dernière oraison. Puis ses yeux se fixèrent dans la direction du nord comme ceux d’un homme qui, au moment d’entreprendre un grand voyage, jette un dernier regard sur son pays natal, sur son foyer. Quand le Polonais eut rendu son dernier soupir, Godomine sauta en selle et s’élança avec son cheval à travers le fleuve. Une troupe de Tartares accourue à toute bride lança à la poursuite du fuyard quelques flèches dont aucune n’atteignit Godomine.

Il ne fit que tourner dédaigneusement la tête, puis il cracha. Quand son cheval eut monté la rive opposée, l’animal, comme s’il partageait le sentiment de son maître, secoua son onduleuse crinière en poussant un hennissement joyeux.

Le Cosaque lança l’animal au galop, et bientôt le champ de bataille et le torrent des fugitifs disparurent perdus dans les ombres violettes. Un terrain couvert de bois épais accueillit le Cosaque. Il chemina sur le tapis velouté de mousse verte qui s’étendait sous de grands chênes, des hêtres et des bouleaux, qui, largement espacés, s’alignaient en longues avenues, étendant dans toutes les directions leurs vastes rameaux. Les sommets de ces géans séculaires étaient si touffus qu’ils dérobaient jusqu’à la vue du ciel et que seuls des rais de soleil isolés parvenaient à filtrer furtivement à travers leur feuillage.

Après avoir cheminé longtemps sous les feuilles frémissantes au milieu des mille bruits de la forêt, il ralentit l’allure de son cheval couvert de sueur.

Dans cette solitude, on n’entendait plus les rumeurs de la guerre, on aurait dit qu’il n’y avait pas d’hommes sur la terre. Les coups secs du pivert martelant de son bec l’écorce des chênes ou les cris d’un vautour se faisaient seuls entendre de temps en temps dans cette paix des choses.

Il faisait nuit, lorsque Godomine, laissant derrière lui le terrain boisé, se trouva en face de vastes marais et de nappes d’eau dont le miroir uni reflétait la lueur mate des étoiles, de petites mares et d’étangs couronnés de roseaux flexibles. L’intelligent cheval