Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cosaque avança avec beaucoup de précaution, sondant de temps à autre de son sabot le sol incertain. Un brouillard blanchâtre s’élevait en légères nuées au-dessus de la terre et tout autour du cavalier commençait la danse des feux follets aux flammes séductrices.

Le Cosaque croyait voler comme le tsarewitch du conte sur le dos d’un loup ailé à travers l’espace céleste ; au-dessous de lui planaient les nuages, et tout autour scintillaient les essaims des étoiles.

Ce ne fut qu’au matin, lors de son arrivée dans un misérable village, que Godomine résolut de prendre un peu de repos.

Un chien salua le cavalier inconnu de ses aboiemens rageurs, une jeune fille accourut, pieds nus, en pelisse courte de peau de mouton, aux tresses flottantes, portant sur l’épaule une perche à laquelle étaient suspendues deux cruches.

Le Cosaque l’aida à les remplir d’eau et, reconnaissante, elle lui donna à boire ainsi qu’à sa monture. Après quoi la jeune fille fit paître ses chèvres, et tout en cueillant, pour apaiser sa faim, des baies de ronce qui mûrissaient partout aux basses branches des haies, Godomine raconta aux paysans effarés tout ce qui était survenu.

Peu après il repartit, traversant champs et pâturages, dépassant villages et manoirs, salué ici par le carillon des cloches, et là par le croassement des corneilles juchées sur les mottes noires des champs fraîchement défrichés.

Et il allait ainsi, chevauchant jour et nuit, à travers champs et forêts, marais et landes, ne laissant reposer un instant son cheval qu’auprès d’une source ou sur la lisière d’un champ. Le jour commençait à poindre quand il atteignit la steppe sablonneuse où était située la terre de Horgg. Les avenues vertes et sombres des pins s’étendaient à perte de vue, monotones, tristes, dans un silence majestueux.

Tout à coup, un vol de corbeaux partit derrière lui et passa silencieusement par-dessus sa tête, le devançant comme la noire armée des porteurs d’un lugubre message, et se perdit au loin, parmi les brouillards vermeils du matin.

Déjà, le château, enfermé dans la ceinture de murailles grises à toits de mousse, se levait sur une colline à douces pentes. Au bord de la route, se dressait une croix présentant au passant l’image du Sauveur mourant. Les fenêtres du castel s’embrasaient aux premiers rayons du soleil, et lorsque Godomine arriva dans la cour, les corbeaux le saluèrent du haut du beffroi de leurs discordantes clameurs.