Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condamné en bloc la première œuvre d’un écolier, et remontant de là jusqu’aux chefs-d’œuvre des maîtres, c’est l’école italienne tout entière qu’une fois de plus on a paru méconnaître et calomnier. Voilà ce qu’il ne faut pas faire. Il ne faut pas prendre pour d’éternelles ténèbres les éclipses momentanées de la musique italienne, ni conclure de la caducité de certaines œuvres à l’abolition de l’idéal qu’elles représentent imparfaitement. Une forme d’art ne meurt pas. La forme italienne, qui fut admirable, peut le redevenir demain. Que dis-je ? elle l’est redevenue hier, et le Verdi d’Otello semble avoir rendu au génie de l’Italie son ancienne pureté. Otello nous paraît le chef-d’œuvre, peut-être fécond, d’un art plus formel, plus concret, répondant mieux à nos traditions et à notre nature latine, que l’art wagnérien. Je sais bien qu’on nous détourne aujourd’hui de notre instinct ; on nous entraîne, mais j’espère encore qu’on ne nous égarera pas. L’auteur d’Otello, je le sais également, sera bientôt octogénaire, et rien ne donne à penser que M. Mascagni prenne de ses mains le flambeau. Mais de ce flambeau, j’ai cru, dans une œuvre plus qu’imparfaite sans doute, surprendre quelques étincelles, et plutôt que de les étouffer, j’ai tâché de les recueillir.

Ce n’est point à Mlle Calvé qu’on reprochera de ne pas comprendre l’Italie. Elle est Italienne en tout, Italienne du sud et du peuple ; elle l’est par l’air du visage, la mobilité de la physionomie, le naturel des attitudes, tantôt par la naïveté presque enfantine, tantôt par la tragique violence de la passion et de la douleur. Elle a chanté très bien, encore mieux joué, dans un adorable décor, lumineux et vivant.


CAMILLE BELLAIGUE.