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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/702

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l’historien. On y retrouvera aussi le catholique… Mais ce n’est pas là le point. Il s’agit de savoir si, dans l’entraînement de la controverse et dans l’ardeur de la bataille, Bossuet a manqué aux devoirs de l’historien ; — car pour ceux du chrétien ce n’est pas à nous qu’il appartient de nous en faire juges. L’Histoire des variations n’est pas l’histoire de la Réforme ; c’est un livre de controverse ; mais la controverse est ici de telle nature qu’elle se lie presque par tous ses points à l’histoire générale de l’Europe du XVIe siècle. Ces parties d’histoire générale, engagées, pour ainsi parler, dans la dispute théologique, et qu’aussi bien si Bossuet avait par hasard affecté de les négliger, on le lui reprocherait, et avec raison, comment donc les a-t-il traitées ? Comment a-t-il usé des textes ? A-t-il essayé, comme tant d’historiens, — qui ne font pourtant pas de théologie, — d’en faire sortir peut-être ce que ces textes ne contenaient pas ? ou a-t-il méprisé cet art de les « solliciter, » qui depuis lors a fait tant de progrès parmi nous ? Quels témoins, encore, a-t-il interrogés ? de quelle qualité ? dignes de quelle confiance ? N’en a-t-il pas omis ou écarté d’essentiels ? Mais ceux qu’il a retenus, comment, par quels moyens s’est-il assuré de l’authenticité, de la véracité, de la portée de leur témoignage ? Voilà toute la question : elle était, sans doute, assez complexe, assez délicate ; et elle est assez importante pour qu’on ne puisse trop féliciter M. Rébelliau de la manière dont il l’a résolue.

Car, de lui opposer je ne sais quel historien idéal, ou plutôt imaginaire, dont l’impartialité prétendue ne serait au fond que de l’indifférence pour les questions qu’il traite, je ne dirai pas que ce soit une moquerie… mais je le pense. Où est-il donc, cet historien ? et comment s’appelle-t-il ? Henri Martin ou Michelet ? Mommsen ou Droysen ? Carlyle ou Macaulay ? Tacite ou Tite-Live ? Polybe ou Thucydide ? C’est peut-être Louis Blanc, dans son Histoire de la révolution française, à moins que ce ne soit Merle d’Aubigné, dans son Histoire de la réformation ! Mais le fait est que l’on n’en connaît pas ; et on n’en connaît pas parce qu’il ne peut pas y en avoir ; et il ne peut pas y en avoir, parce que l’histoire serait le dernier des emplois de l’esprit, s’il n’y allait que de la satisfaction d’une curiosité platonique. L’historien digne de ce nom veut toujours prouver quelque chose. Comme une monographie d’histoire naturelle n’a d’intérêt qu’autant que les conclusions en dépassent l’objet, de même la biographie d’un militaire ou d’un artiste, que dis-je ! un mémoire d’archéologie, — la description d’une statue grecque ou d’une cruche étrusque, — n’ont d’intérêt que celui des rapports qu’ils soutiennent avec l’ensemble de l’histoire de l’art ou de la civilisation générale. Et l’on voudrait qu’un Bossuet, dans une Histoire des variations des églises protestantes, se fût abstenu de juger le protestantisme ! Que ne lui reprochons-nous plutôt d’en avoir osé parler ! .. Et, en