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y songeant, c’est effectivement ce que l’on veut dire. Comme si l’on oubliait que l’Histoire des variations est elle-même aujourd’hui dans l’histoire et de l’histoire, on s’efforce de prouver que Bossuet ne pouvait pas être impartial ; que, comme catholique, ses conclusions lui étaient dictées ou imposées d’avance ; et que, si Luther ou Calvin eussent eu cent fois raison, il fallait qu’il leur donnât tort.

C’est ce que j’ose hardiment nier. « C’est la demi-foi qui est craintive, dit à ce propos M. Rébelliau. Ce sont les hommes de croyance incomplète et mal assurée que la contradiction déconcerte, exaspère, et qui sont tentés de remédier par la chicane, la dissimulation ou le mensonge aux réalités qui les gênent. Bossuet, lui, a dans la vision mystique cette paix hardie qui ne craint pas la science. Ce que l’incrédulité fait pour d’autres, la foi le fait pour lui : elle l’affranchit. » On ne saurait mieux dire ; — mais on peut dire autre chose encore. Quand Calvin et Luther, sur la question de l’eucharistie, par exemple, ou sur la matière de la justification, auraient eu cent fois raison contre la théologie catholique, ils auraient toujours eu tort, pour Bossuet, de s’être détachés de l’Église, parce qu’il n’y a pas d’Église sans un pouvoir absolu de définir ses propres dogmes, et que d’un autre côté, sans Église, il n’y a plus de christianisme, ni de religion peut-être. Sauf ce seul point, que l’on voudra bien remarquer que les protestans du XVIIe siècle ne niaient pas, qu’ils embrouillaient seulement, — ce qui était une matière de le reconnaître. — il n’y avait donc rien dans la foi de Bossuet qui bornât sa liberté de penser, ni conséquemment qui nuisît à son impartialité. Mais, si d’autre part, on fait attention qu’il n’avait pas attendu pour affermir et raisonner sa foi la quarante-cinquième année de son âge ; que vivant, comme il faisait depuis déjà vingt-cinq ans, au milieu même des controverses, il n’a pas sans doute appris l’histoire de la Réforme à la veille de l’écrire ; et qu’indépendamment de l’autorité du concile ou des pères, il avait ses raisons à lui pour trouver que Calvin avait mal parlé de la présence réelle, ou Luther du libre arbitre, on en conclura qu’il a écrit l’Histoire des variations précisément parce qu’il estimait que Luther et Calvin avaient eu diversement, mais également tort. Lui reprocher sa partialité dans son Histoire des variations, c’est donc lui reprocher de ne pas avoir été protestant ; et, sans doute, c’est une manière de trancher la question. En est-ce bien une de la résoudre ?

Ce point de fait a tant d’importance, que, si j’avais quelque chose à désirer dans le livre de M. Rébelliau, c’en serait peut-être une démonstration plus précise. M. Rébelliau a très bien montré que l’Histoire des variations « n’était pas issue d’un dépit d’auteur, du hasard de la lecture du Syntagma confessionum fidei… du désir presque puéril de renvoyer à ses adversaires l’un des reproches qu’ils lui faisaient. » Bossuet