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apprend que, représentant la France à Francfort, au moment de l’élection de François de Lorraine, il avait donné le conseil de ne pas disputer une reconnaissance qu’on n’avait aucun moyen sérieux de contester. Il aurait très raisonnablement préféré qu’on fît acheter à Marie-Thérèse l’adhésion de la France, au prix de quelques concessions avantageuses : — De quoi, ajoute toujours d’Argenson, Frédéric étant informé, s’était montré fort irrité, sans doute, parce qu’ayant en tête un dessein du même genre, il ne se souciait ni d’être devancé, ni d’être obligé de surenchérir. L’occasion, manquée alors, se présentant de nouveau, il était tout naturel que Saint-Séverin cherchât à la ressaisir, d’autant plus qu’il trouvait cette fois des dispositions tout à fait pareilles aux siennes chez l’envoyé autrichien, le comte de Kaunitz, inspirateur, on l’a vu, encore plus qu’interprète des pensées nouvelles de Marie-Thérèse. Pour ce politique, destiné à une si longue vie ministérielle, la réconciliation de la France et de l’Autriche, qui devait être l’acte le plus éclatant de sa carrière, était déjà son plan favori et, si on peut se servir de ce terme, à propos d’un esprit si peu chimérique, le rêve de son ambition.

Ainsi avec l’Autriche, le désir de s’entendre étant sincère de part et d’autre, la négociation pouvait paraître en bon chemin vers un résultat favorable. Avec l’Angleterre, au contraire, dont les intentions n’étaient encore que vaguement connues, tout faisait craindre à première vue que le compte ne fût beaucoup moins facile à régler. Et tout de suite, pour commencer, on se trouvait transporté sur un terrain absolument différent. Les traités de Breslau, de Dresde et de Worms sur lesquels reposaient les agrandissemens nouveaux de la Prusse et de la Sardaigne, et dont Marie-Thérèse désirait effacer jusqu’au souvenir, avaient tous été conclus sous l’inspiration de l’Angleterre. Le traité de Worms, en particulier, était son œuvre, elle en avait presque dicté les termes. Elle ne pouvait guère se dispenser d’insister pour que des conventions, auxquelles elle avait directement concouru, fussent comprises dans l’acte final qui réglerait l’état de l’Europe. De là, en ce qui concernait au moins le traité de Worms, une difficulté contre laquelle on allait venir se heurter de front, car un des articles de ce traité avait dépouillé sans façon, comme je viens de le dire, la république de Gênes au profit du roi de Sardaigne de presque tout ce qu’elle possédait sur le littoral de la Méditerranée : et la France, soit pour faire honneur au principe général qu’elle avait posé, soit pour ne pas se donner le tort d’abandonner une alliée fidèle et dévouée, ne pouvait manquer d’en demander la restitution. Il fallait s’attendre que Charles-Emmanuel serait aussi éloigné